Bitef

les. Un spectacle venu d’Anvers, où vit le metteur en scène Jan Fabre. Jan Fabre a vingt-trois ans, un cerveau électrique, èt du théâtre plein les doigts. On l’a déjà vu en France, à la Bastille, où il donnait Du théâtre comme c’était à espérer et prévoir. Neuf heures d’un marathon en noir et blanc (mais sans tyrannie pour les spectateurs, qui pouvaient entrer et sortir à leur quise, ou dormir), où rien ne se jouait que la répétition, l’ultime sursaut du théâtre à faire. Je suis sûre que si on demandait à Jan Fabre; Que faites-vous dans la viel il répondrait: Je défais. Parce qu’on meurt de recommencer sur les traces des autres, parce qu’on ne fait jamais que se répéter, Jan Fabre, qui a tout compris, a choisi de commencer là où le théâtre des autres s’est terminé: dans l’essoufflement d’un fallacieux retour. Ils sont onze, sur le plateau nu, quadrillé par l’eclairage fantôme de petites ampoules suspendues à des fils. Tous de dos, au fond, pantalons noirs et chemises blanches. Androgynes. Mais pas pour longtemps. Un se met à marcher, toujours de dos, il hésite, on dirait qu’il cherche un espace. Le voilà maintenant au bord de la scène, toujours de dos. Sans bouger, et sans parler (le théâ-

tre de Fabre, comme celui de Bob Wilson, est autiste). On pourrait dire, à ce moment, qu’il ne s’est rien passé, n’était-ce un flottement du temps qui, déjà, nous envahit. Un à un, les autres tracent leur route vers leur camarade. Et les voilà tous de dos, à crier, dans diverses langues, des dates, Il n’y a aucune raison pour qu’ils s’arrêtent, quand l’un se retourne vers la public, et l’on découvre que ce un est une, qui tend son sein rond et nu, entre l’offrande et le sacrifice. C’est beau comme une respiration, Voilà, le théâtre de Jan Fabre est ainsi fait, succession de moments lents où les jeux cruels le disputent au bonheur d’être là, corps en harmonie dans un espace. Lancer de grenouilles vivantes (les ont-ils écrasées?), bris d’assiettes consciencieusement ramassées, tango lent de deux rois nus, vêtus de leurs seules couronnes de papier doré (certain conteste en envoyant ses godasses sur la scène), coups durs de la passion acharnée dans rhabillage-déshabillage des corps qui se cognent (après, je suis partie boire un café), infernal marathon sur place. Jan Fabre, obsédé par le double, vogue entre le rituel et le cannibalisme, entre la lenteur- et l’impatience (« Mais que

va-t-il encore inventer? »), entre l’effroi du sanglot de celle qui, plus de vingt minutes, a répété le même pas épuisant de danse, et le silence de celle à qui l’on ne refuse enfin plus, après la bataille, la main sur la nuque. Et comme Jan Fabre ne recule devant rien, pas même l’aveu, il a dédié son spectacle le Pouvoir des folies théâtrales, à ceux qui, de Wagner à lui-même, firent de l’art un champ de bataille.□ Brigitte Salino

De macht der theaterlijke dwaasheden De ambivalentie van de kunstenaar, van Jan Fahre, die begrijp ik best. Wat wil hij van me? Het wonder van een begenadigde gek beschrijven. Zo mogelijk zijn werk duiden, namelijk datgene van

tekst en uitleg voorzien waartegen de gek zelf zich in alle uitersten verzet. (Voor de orde, een gek is in mijn ogen de enige soort interessante kunstenaar; gek, als woord toegepast buiten zijn reguliere context: de man of vrouw die zich aan de spelregels van het leven tracht te onttrekken, ermee worstelt, er kanttekeningen bij plaatst; commentarieert, verzet en vraagtekens vorm geeft. Is het een goeie - kunstenaar dus - dan is het zeker een gek, een volstrekt gereguleerde wereld moet dat wel zo ervaren). Uitleggen, begeleiden, plaatsen, dat zijn dus al die zaken waar je als mens op je zwakste momenten behoefte aan hebt. Ook als je kunstenaar bent. In het geval van het werk en de persoon van Fahre wil ik bewust wat saboteren, de duiding vertragen. Het maskeert m’n eigen onvermogen nu al een brede context te schetsen aardig. Dat staat het eigenlijke werk maar in de weg. Een handvat immers neemt de vorm van een analyse van zijn artistieke voortbrengselen, en wie de groeiende stroom van volgeschreven programmaboekjes - anders dan de verzamelde gegevens die de omgeving vormen van een project

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