Correspondance diplomatique de Talleyrand. La mission de Talleyrand à Londres, en 1792 : correspondance inédite de Talleyrand avec le département des affaires étrangéres le général Biron, etc.

A LONDRES. 79

noirceurs, dont les plus atroces ne furent faites que deux jours après mon arrivée, j'eus lieu d’être étrangement surpris de voir ceux qui m’avaient accueilli un jour me fuir le lendemaim; de voir le prince de Reuss, ministre de l'Empereur, qui m'avait reçu en ami, me tourner le dos dès qu'on l’eut instruit de ces mensonges qu'il prenait pour des vérités; de voir enfin le Roi me marquer au cercle son ressentiment d’une manière indécente.

Je crus d’abord que c’était uniquement l’animosité contre ceux qui tiennent à la constitution qui m'attirait cet accueil; mais la société de Berlin, la plupart aristocrate, me recevait avec infiniment de politesse et dé-

des membres du Corps diplomatique. Le dimanche d'ensuite il parle à ceux de ce corps auxquels il n’a rien dit le dimanche précédent. Ce jour-là, après avoir reçu trois ou quatre étrangers, le Roi dit un mot à chacun des ambassadeurs, et se contenta de toiser M. de Ségur. A gauche de M. de Ségur se trouvait le ministre de l’Électeur de Mayence, auquel le Roi demanda à haute voix : M. le prince de Condé est-il toujours avec l'Électeur? « Non, Sire, fut la réponse du ministre, il s'est rapproché davantage des frontières de France, et il occupe actuellement le territoire du cardinal de Rohan. » Le Roi finit par s’entretenir longuement avec M. Heymann (ancien lieutenant de Bouillé qui avait émigré), et il affecta même de le faire avancer pour qu'on vit plus clairement la distinction qu'il voulait lui faire.

« L'après-midi, il y avait cercle chez la Reine : le Roi la fit prévenir de ne point parler à M. de Ségur, et elle répondit que jamais ordre ne serait exécuté avec plus de plaisir. En conséquence, elle fila très vite devant M. de Ségur, sans même le regarder, et après avoir parlé à tout le monde, elle s'arrêta particulièrement devant M. Heymann, avec lequel elle eut un entrelien assez long.

« On a répandu le bruit que M. de Ségur était celui des ministres qui convenait le moins à la cour de Prusse; c'est une erreur : tout