Correspondance diplomatique de Talleyrand. La mission de Talleyrand à Londres, en 1792 : correspondance inédite de Talleyrand avec le département des affaires étrangéres le général Biron, etc.

A LONDRES. 377

importants à faire valoir dans la négociation dont vous

êtes chargé; vous pouvez en tirer un grand parti en

part qui leur était respectivement échue. Ces conditions sont toutes impossibles, et la seconde plus que les deux autres.

« D'abord, la Russie ne veut pas le rétablissement de la Pologne pour perdre ce qu'elle en a acquis; elle le veut pour acquérir ce qu’elle n’en possède pas. Or, rétablir la Pologne pour la donner à la Russie, pour porter la population de celle-ci en Europe à quarantequatre millions de sujets, et ses frontières jusqu’à l'Oder, ce serait créer pour l'Europe un danger et si grand et si imminent, que, quoiqu'il faille tout faire pour conserver la paix, si l'exécution d’un tel plan ne pouvait être arrêtée que par la force des armes, l'Europe devrait les prendre. On espérerait vainement que la Pologne, ainsi unie à la Russie, s’en détacherait d'elle-même; il n'est pas certain qu’elle le voulût; il est moins certain qu’elle le pût. Et il est certain que si elle le voulait et le pouvait un moment, elle n’échapperait au joug que pour le porter de nouveau. Car la Pologne, rendue à l'indépendance, le serait invinciblement à l'anarchie. La grandeur du pays exclut l'aristocratie proprement dite, et il ne peut exister de monarchie où le peuple soit sans liberté civile, où les nobles aient la liberté politique ou soient indépendants, et où l'anarchie ne règne pas. La raison seule le dit, et l'histoire de toute l’Europe le prouve. Or, comment, en rétablissant la Pologne, ôter la liberté politique aux nobles ou donner la liberté civile au peuple ? Celle-ci ne saurait être donnée par une déclaration, par une loi; elle n’est qu'un vain nom si le peuple à qui on la donne n’a pas de moyens d'existence indépendante, des propriétés, de l'industrie, des arts, ce qu'aucune déclaration ni aucune loi ne peut donner, el ce qui ne peut être que l'ouvrage du temps. L'anarchie était un état d'où la Pologne ne pouvait sortir qu’à l’aide du pouvoir absolu; et comme elle n’avait point chez elle les éléments de ce pouvoir, il fallait qu’il lui vint du dehors tout formé, c'est-à-dire qu’elle tombât sous la conquête. Elle y est tombée dès que ses voisins l'ont voulu; et les progrès qu'ont faits celles de ses parties qui sont échues à des peuples plus avancés dans la civilisation, prouvent qu'il a été heureux pour elle d'y tomber. Qu'on la rende à l'indépendance, qu’on lui donne un roi non plus électif, mais héréditaire, qu'on y ajoute toutes les institutions que l’on pourra imaginer; moins elles seront libres, et plus elles seront opposées au génie, aux habitudes, aux souvenirs des nobles