Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

264 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

certifier à ma famille que du moins je ne suis pas mort, et cependant je n'ose pas lui écrire moi-même. Songez, ma chère, à l'étendue de mes correspondances, surtout pendant trois ans; songez que la seule création de la garde nationale a multiplié ma signature non seulement à Paris, mais dans tous les cantons de la France, et vous tremblerez comme moi que mon écriture reconnue n'y fournisse un prétexte à la tyrannie. Je vous avoue qu’en même temps que la conduite de ma femme sous tous les rapports augmente encore, s’il est possible, ma tendresse, ma reconnaissance, ma vénération pour elle, je n'aurais jamais consenti à son retour en France, et mon vœu le plus ardent est de l’en savoir dehors. Quelle sûreté y a-t-il dans un pays où Robespierre est un sage, Danton un honnête homme’, et Marat un dieu? et quoique la servitude des opprimés n'ait toujours paru aussi étrange que l’insolence des oppresseurs, puis-je me dissimuler que la bienveillance d'une majorité subjuguée, même dans son district?, serait pour elle une protection suffisante ? Je suis privé des renseignements nécessaires, mais il me semble que ma famille serait bien mieux en Suisse; je suis sûr du moins que je serais bien plus tranquille, et j'exige surtout qu'aucune considération de fortune ne l’expose à des dangers personnels ?. Voilà donc les deux

1. Les accusations de vénalité contre Danton sont réfutées dans les travaux suivants : BOUGEART, Danton, documents authentiques, 1861; RogrNET, Danton,mémoires sur sa vie privée, 1865; Revue de la Révolution frangaise, t. XXIV et XXV.

2. À Chavaniac, district de Brioude, la population se montrait dévouée à la famille de La Fayette, Cf. H. Mosxier, le Château de Chavaniac, p.21.

3. Un décret du 25 août 1792 ordonnait la saisie et la vente des biens de La Fayette. Sa femme, aidée d’un avocat du Puy, Marthory, s'efforçait de faire réserver sur ces biens les droits des créanciers. En août 1793, la vente avait commencé par cinq propriétés, à Siaugues, Curmilhac, Far-