Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

CORRESPONDANCE INÉDITE 267

l'amitié, résiste néanmoins assez bien au régime qu’on lui fait subir. J'ai envoyé à Monsieur votre frère les détails de mon établissement qui répondent à l’intérêt que vous voulez bien y prendre, et sur lesquels il n’y a rien de changé. Mais depuis le complément de ma solitude je me sens plus cruellement agité par la situation de tout ce qui m'est cher en France. Quoique je croie encore M"* de La Fayette dans ma maison de Brioude’, quoique j'aie la confiance ou peut-être la faiblesse de compter sur l'affection de ce district, je sais que, dans cet affreux état de tyrannie, la vengeance de quelques brigands peut avoir la principale influence sur son sort, et j'ai soumis à M D... et à Me de M... mon désir très ardent pour que ma famille se retire, s’il est possible, en Suisse. J'attends des nouvelles de la vôtre dans la réponse de M. de Maubourg, dont la lettre du 30 en a croisé une de moi qui me paraît avoir voyagé lentement. Je ne lui écris point aujourd'hui, pour ne pas multiplier les travaux d'inspection, traduction et copie, car pour peu que vous doutiez du goût qu'on a dans ce pays-ci pour mes ouvrages, il faut vous apprendre, Madame, que cette simple lettre, avant d'arriver à Glatz, en sera déjà à sa troisième ou quatrième édition. Vous me parlez de notre voisinage avec des expressions si pleines de bonté, qu’elles excitent, si ce n’est une espérance de vous voir, du moins celle que vous en avez eu l'idée ; mais pourquoi ne pas me livrer à une pensée faite pour charmer ma solitude? Toutes les fois que je voudrai braver la malice de la fortune, je joindrai cet

1. La maison et le jardin de Brioude venaient d'être vendus, à la suite du décret de la Convention (25 août 1792), pour 26,300 francs, et n'avaient pu être rachetés par Mw° de Chavaniac, qui avait épuisé toutes ses ressources pour racheter cinq autres propriétés, Cf: lettre XXIT, p. 264, n. 3.