Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

276 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

Lerrre XXVII (SECRÈTE). Note de La Fayette à ses aides de camp. Neisse, le 16 mai 1794.

Puisque nous allons être transportés dans les prisons autrichiennes, et que j'ignore si je pourrai Y écrire, je me contente de faire ici quelques notes [que vous lirez en arrivant en Suisse et que je vous prie de communiquer à mes amis].

Je ne parlerai point des affaires publiques. Un homme mort au monde et enterré depuis vingt et un mois les jugerait mal. La liberté, dont l'Europe sent le besoin, que l'Angleterre perd à regret, que la France rappelle par des vœux secrets, n’en est pas moins assassinée par la double faction des comités jacobites et des cabinets coalisés. S'il est étrange [de respecter des brigands parce qu'ils se disent patriotes], de se croire libre parce qu'une vingtaine de mots républicains a été cousue au plus infâme système de tyrannie, il ne l'est pas moins de s’imaginer que la souveraineté nationale, placée entre cette nouvelle usurpation et l'antique rébellion des despotes, puisse gagner quelque chose aux succès des alliés; et lors même que ceux-ci déguiseraient l'aristocratie, l'intolérance et l'autorité arbitraire sous quelques dehors soi-disant constitutionnels, je ne puis, en vérité, me persuader que la cause de l’humanité doive être [réellement] servie par des puissances conjurées contre elle. Mais il ne s’agit ici que de notre délivrance personnelle, [et comme, d'après l'arrangement si voisin de la liberté qu’on a fait pour Lameth', j'espère n’avoir bientôt plus à parler qu'au

1. Cf. notices sur les lettres Let XXXI.