Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

290 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

ville, et alors de trouver une autre voiture avec des chevaux tout prêts. Voilà un plan qui ne peut manquer, à moins que nous ne soyons trahis.

Pour éviter cela, j'ai un projet également facile et sur le succès duquel vous pouvez compter. Le lieutenant est un vieux fou, servile et têtu; le caporal est plus sensible à l'argent, mais c’est un très lâche coquin. On peut le suborner, mais sa couardise est telle qu'il pourra préférer une récompense moindre et pas de danger, à une fortune et quelque risque. Il vaut mille fois mieux pousser en avant malgré lui lorsque nous sortirons en voiture ensemble.

Nous sommes dans un phaéton. Personne n’est avec moi que le caporal, qui, soit dit en passant, est affecté d'une hernie, et une grosse bète de cocher qui quelquefois, comme aujourd’hui, est laissé à la maison; et alors c'est le caporal qui conduit le phaéton. Nous allons sur différentes routes, quelquefois dans des chemins de traverse, et nous ne revenons pas toujours par le chemin où nous sommes venus, mais nous allons toujours jusqu’à un demi-mille allemand (une lieue) et quelquefois jusqu'à un mille (deux lieues) de la ville. Mais supposons un demi-mille ; vous nous rattraperez à cheval, car généralement la voiture va lentement. Ayez avec vous un homme de confiance; arrêtez le cocher. Je prends sur moi de faire en sorte d'épouvanter notre timide caporal avec son propre sabre, pour que rien ne m'empéche de sauter sur le cheval de votre compagnon, qui pourra venir à quelque distance derrière moi. Si le cocher n’est pas là, tant mieux; s’il y est, il ne pensera qu’à se sauver.

Tenez compte de ceci, mon cher Monsieur, lorsque vous choisirez le moment et l'endroit où vous