Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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Où apprend-on ces lois naturelles ? Morris indique l’école de deux maîtresses. La première, c'est l’histoire : « L'histoire, cette mère de la science politique, leur avait dit (aux principaux auteurs de la Constitution américaine) qu'il était presque aussi vain d'attendre la permanence d’une démocratie que de construire un palais sur la surface de la mer‘. » C’est ensuite l'expérience : « Qu'un homme puisse être législateur par droit de naissance, c'est fréquemment aujourd'hui un sujet de risées chez les beaux esprits qui ne sont pas encore sortis du nid. Mais l'Expérience, cette matrone ridée que le génie méprise et que la jeunesse déteste — l'expérience, la mère de la sagesse — nous dira que l’homme, destiné dès le berceau à jouer un rôle important, n’est pas en général aussi mal préparé que ceux que désigne le choix populaire?. »

Morris reconnaît d’ailleurs que fort peu de ces lois naturelles ont été découvertes et que, par suite, la science politique est encore bien incertaine: «Ilest parfaitement naturel, écrit-il à son ami Short, que vos Opinions soient différentes des miennes. Il s’écoulera bien du temps avant que les questions politiques soient ramenées à une certitude géométrique. A présent le raisonnement qui s’y applique est une sorte d’arithmétique de l'infini, car la meiïlleure information, la tête la plus froide et l'esprit le plus lumineux peuvent seulement approcher de la vérité *. »

Il est pourtant certains éléments connus qui déterminent les institutions politiques et sociales ; ce sont la race et le milieu : « Le caractère des nations, dit Morris, doit toujours être pris en considération dans toutes les questions politiques, et celui de la France a toujours été une inconstance enthousiaste ‘.» Dès les premiers temps de son séjour dans notre pays. au sortir d’une conversation avec M. de Bersheni ÿ, dans laquelle il avait exposé ses sentiments de républicain d'Amérique, il écrit sur son Journal: « Cette façon de penser et de parler est «trop virile pour le climat où je metrouve.» La conséquence qu'il en tire, c'est qu'il doit y avoir autant de constitutions

1, T. IL, p. 527. — 2. T. IL, p. 475. — 3. T: I, p. 348. &. T. I, p. 591. — 5. Sans doute de Bercheny. — 6, T. I, p. 28.