Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

LA MÉTHODE ET LES PRINCIPES DE GOUVERNEUR MORRIS :9

D'après cela il est facile de voir que Morris ne considère oint les hommes comme naturellement bons et raisonnables. « L'homme, écrit-il, en 1797, animal raisonnant, mais non pas raisonnable, ne s'instruit que par l'expérience et ne se corrige que par le malheur‘. » Enfin une autre de ses idées maîtresses, qui revient fréquemment dans ses lettres et dans ses notes, c’est que la liberté ne peut pas s'établir chez un peuple qui n’a pas de moralité. Cela rappelle la théorie de Montesquieu qui donne la vertu pour ressort nécessaire à La République 2. La pensée de Gouverneur Morris est cependant assez différente. Ce que Montesquieu entend par la vertu dans les Républiques, c'est simplement, outre l’amour de la patrie, Je respect de la loi. Morris, lui, envisage la moralité sous ses divers aspects, y compris la morale religieuse. Voici, comment, le 29 avril 1789, ilexpose, dans une lettre à Washington, sa doctrine, qu'il considère implicitement comme également prolessée par son illustre ami: « Chacun convient qu’il ya un profond abaissement de la moralité — mais cette affirmation générale ne pourrait jamais faire concevoir à l'esprit des Américains le degré de cette dépravation. Ce n’est pas par une figure de rhétorique ou par la force de l'expression que l'idée peut être communiquée. Cent anecdotes et cent mille exemples seraient nécessaires pour montrer l'extrême corruption de chaque membre. Il y a des hommes et des femmes quisont grandement et éminemment vertueux ; j'ai le plaisir d'en compter beaucoup parmi mes connaissances, mais ils se détachent sur un fond profondément obscur et noir. C'est pourtant avec ces matériaux croulants que le grand édifice de la liberté doit être élevé ici. Peut-être, comme le stralum de roc qui s'étend sous toute la surface de leur pays, cette matière pourra-t-elle se durcir lorsqu'elle sera exposée à l'air, mais il paraît tout aussi probable que l'édifice s’écroulera et écrasera les constructeurs. Je vous avoue que je ne suis pas sans de pareilles appréhensions, car il ÿ a ici un principe fatal qui envahit tous les rangs: C’est une parfaite indifférence à la

1. T. Il, p. 297, lettre au maréchal de Castries, en français. 2. Esprits des Lois, L. ILE, ch. v; L. V, ch. net suiv.