Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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Î lui peint âussi sous de vives couleurs le role social-et politique de ces mondaines: « À Paris. les femmes n'aiment à vivre qu'avec les hommes, elles ne sont à l'aise qu'avec eux. Dans chaque société, la maîtresse de maison est presque touJours seule au milieu d'un cercle d'hommes. On a peine à concevoir d’où tant d'hommes peuvent se répandre partout : mais Paris est plein d’aventuriers et de célibataires qui passent leur vie à courir de maison en maison : et les hommes semblent, comme les espèces, se multiplier par là circulation. Une remarque assez commune, el qui semble être à la charge des femmes, c’est qu'elles font tout en ce pays et, par conséquent, plus de mal que de bien ; mais ce qui les justifie, est qu'elles font le mal poussées par les hommes, et le bien de leur Propre mouvement... Tout dépend d'elles, rien ne se fait que par elles ou pour elles ; Olympe et le Parnasse, la gloire et la fortune sont également sous leurs lois. Les livres n'ont de prix, les auteurs n'ont d'estime qu'autant qu'il plait aux femmes de leur en accorder: elles décident souverainement des plus hautes connaissances ainsi que des plus agréables. Poésie, littérature, histoire, philosophie, politique même, on voit d’abord au style de tous les livres qu'ils sont écrits pour amuser de jolies femmes et l’on vient de mettre la bible en histoires galantes. Dans les affaires, elles ont, pour obtenir ce qu'elles demandent, un ascendant naturel Jusque sur leurs maris, non parce qu'ils sont leurs maris, mais parce qu'ils sont hommes, et qu'il est convenu qu'un homme ne refusera rien à aucune femme, füt-ce même la sienne... C'est doncaux femmes qu’on s'adresse pour avoir des grâces ; elles sont le recours des malheureux: elles ne ferment point l'oreille à leurs plaintes; elles les écoutent, les consolent et les servent. Au milieu de la vie frivole qu'elles mènent, elles savent dérober des moments à leurs plaisirs pour les donner à leur bon naturel ; et, si quelques-unes font un infime commerce des services qu'elles rendent, des milliers d’autres s'occupent tous les jours gratuitement à secourir le pauvre de leur bourse et lopprimé de leur crédit !, » £

1. La Nouvelle Héloïse, partie IF, lettre or.