Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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le cas où M. de Calonne serait chassé en même temps !. » Ce que Saint Preux avait vu par les yeux de Rousseau, Gouverneur Morris le revoyait encore ; et cette ingérence fé“minine ne paraît pas lui déplaire. Il écrit en janvier 1393 à Lady Sutherland : « La science de la politique est, pour le moins, une science aride. Aussi les Français la discutent-ils avec les dames: en ellet, la présence d’une belle femme est si charmante qu’elle répand une joie générale?. » Il constate toujours la même suprématie ; témoin celte soirée chez Mme de Puysieux, où il retouve Mme de Ségur, après les avoir vues le matin l’une et l’autre: « Nous Evans une grande quantité de thé faible, que très justement Mme de la Sue déclare être du lait coupé. Mme de Ségur arrive comme la compagnie est à souper et je-lui dis très sincèrement que j'allais partir, mais qu "à présent je reste. La conversation dans notre coin roule, comme d'ordinaire, sur la politique et, entre autres choses, sur le manque de grains. M. Necker est lar gement blâmé, mais, à mon avis, tout à fait sans qu'il le mérite. En effet on a commis une sottise et c’est justement le seul acte qui trouve grâce devant eux. C’est l’ordre de perquisilionner dans les granges des fermiers. L’émeute est aussi dissipée. Le baron de Besenval, qui a donné l’ordre de la réprimer, est pleinement satisfait de son ouvrage. II fit marcher deux pièces de canon avec les gardes suisses, et lorsque furent faits les préparatifs pour Lirer, la populace tourna les talons. Par suite, on tombe d'accord que le baron de Besenval est un grand général, et, comme c’est le sentiment des dames, il serait sot et insensé de contredire leur opinion ÿ. » Cependant, par une vue pénétrante, Morris prédit que ce règne des femmes disparaîtra avec l'établissement d’un gouvernement libre. « Alors commence (en avril 1789, chez M. de Norrage) une fastidieuse argumentalion, à laquelle je ne prête aucune attention, mais je m'aperçois que les dames sont dépitées par ce que les orateurs sont si véhéments, que leurs douces voix ne peuvent se faire entendre. Elles en verront bien d'autres si les États généraux peuvent réellement

1. Souvenirs, &. Il, p. 346. — 2. T. IT, p: 28: — 3. T. L p. 7r