Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

62 GOUVERNEUR MORRIS

Voici.ce que Morris écrivait sur ce sujet à Washington au mois de janvier 1790: «Ordinairement les discours sont imprimés ; aussi met-on autant de soin à les rendre sonores et bien faits qu'à instruire ou à convaincre. Mais il y a une autre cérémonie, par laquelle passent les discours et qui ne peut manquer d’en affecter tout au moins la forme et peut-être la substance. Ils sont lus à l'avance dans une petite société de jeunes gens et de femmes, parmi lesquelles se trouve généralement la belle amie de l’orateur ou quelque autre belle dont il veut faire son amie, et la société donne très poliment son approbation, à moins que la dame qui donne le ton à ce cercle ne trouve par hasard quelque chose à reprendre, et naturellement ce point est changé sinon supprimé !. » Plus tard, envoyant à Necker un de ses discours au Sénat des États-Unis, Morris lui rappelait ces usages de l’Assemblée nationale : « L'impression est défectueuse et cela doit être, puisque nous ne sommes pas (comme les membres de votre ci-devant Assemblée nationale), dans l'habitude de préparer des discours par écrit. On en lisait de fort beaux dans cette Assemblée, mais on n’y discutait rien ?. »

L'attrait de ces lectures intimes était si grand que Morris lui-même, le sage Morris, l'homme d’État, l’orateur exercé de la Convention américaine, s'y laissa entrainer, comme un simple Français. Il lut, au moins en partie, chez Mme de Staël le projet de discours qu’il avait composé pour Louis XVI, quand le moment fut venu d'accepter définitivement ou de refuser la Constitution. « Je suis invité à diner (26 août 1791) chez Mme de Staël. Elle me demande de Jui montrer le Mémotre que j'ai préparé pour le roi. Je suis surpris de cela, et j'insiste pour savoir comment elle en a eu connaissance. Elle me le dit à peu près. Je le lis pour elle et pour l'abbé Louis, par qui elle a eu son information et, comme je m'y attendais, ils sont tout à fait opposés à un ton si hardi. Je suis bien persuadé qu'on adoptera une piteuse conduite. L’ambassadrice d'Angleterre arrive pendant notre lecture, ce qui l'interrompit à ma grande satisfaction. J'arrive tard chez M. de

1. TL. I, p. 278. - 2. T. II, p. 434 (en français dans lé texte).