Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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LES IDÉES DE GOUVERNEUR MORRIS SUR LA FRANCE 63

Montmorin, nous nous relirons dans son cabinet et je lui lis le plan de discours que j'ai préparé pour le roi. Il le fait bondir et il dit que cela est trop fort ; que le tempérament de la nation ne le supportera pas. Nous discourons longuement sur ce sujet. Je lui remets la chose. Nous en confèrerons de nouveau et il montrera cela au roi lundi. Je lui donne la permission (qu'il aurait prise de toute manière) de le montrer à sa fille. Je sais, lui ayant préalablement monté l'imagination à ce, point, qu'elle encouragera une telle entreprise. Je vais au Louvre, comme je l'ai promis. Mme de Flahaut me dit que l’évêque lui a parlé de mon œuvre, Mme de Staël ayant dit à celui-ci que je la lui avais montrée à elle. Elle la trouve très faible. Mme de Flahaut a dit à l'évêque que cela est faux ; car Mme de Staël, au contraire, craignait uniquement qu'il ne füt trop fort. Là-dessus un bon bout de celte sorte de causerie. Je m'attendais à une pareille conduite de la part de Mme de Staël ; elle ne m'a point surpris !. » On conçoit comment les sentiments monarchistes de Morris se confirmaient et grandissaient dans un pareil milieu. Cependant, comme il l’avait dit à Mme de Nadaillac, il n’était point de sa secte. Non seulement il restait l’ami sincère de la liberté, mais parfois, devant les bassesses de l'esprit de servitude, se réveillait en lui un mépris républicain qu'il exhalaït alors en paroles amères. Mme de Nadaillac, comme elle le lui avait promis, le fit rencontrer chez elle avec l'abbé Maury (3 mars 1791): « Je vais chez Mme de Nadaiïllac. Nous avons là l'abbé Maury, qui a l'air d’un parfait coquin (scoundrel) ecclésiastique ; et les autres sont des aristocrates féroces. Ils ont le mot « valet » écrit sur leurs fronts en gros caractères. Maury est fait pour gouverner de tels hommes et de tels hommes sont faits pour lui obéir, à lui, ou à tout autre. Maury paraît, cependant, avoir trop de vanité pour un grand homme ; Mme de Nadaiïllac est pleine d’attentions et insiste pour que je sois un arislocrale outré. Je lui dis que je suis trop vieux pour changer mes idées sur le gouvernement ; mais que, pour elle, je serai exactement ce qu'il lui plaira?. »

1, .T I, p.445. — 2. T. I, p. 390.