Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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prêt à crever; partout la confédération et l'insurrection déclarées ; et, au signal donné par la province du Dauphiné, tout le royaume prêt à répondre par acclamation qu’il entend être libre : les provinces liguées, leur correspondance établie. et de Paris, comme de leur centre, l'esprit républicain allant porter au dehors sa chaleur avec sa lumière. »

Ce vaste complot national, cette insurrection préparée dans la France entière avaient existé en effet, l’allusion à l’Assemblée de Vizille précise la pensée qu'a recueillie et notée Marmontel. Il y avait bien comme une conspiration universelle dans l’état d’incroyable anarchie où se passa la plus grande partie de l’année 1788 et où le gouvernement avait follement précipité la nation, en engageant sa lutte dernière et si imprudente contre les Parlements. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Mais le passage que je viens de citer contient un autre trait, l’un des caractères distinctifs de la Révolution, celui qui fait de Paris le foyer de l'esprit révolutionnaire et républicain. Chamfort, d’ailleurs, aurait très nettement indiqué à Marmontel l'emploi que son parti comptait faire du bas peuple, des aventuriers et de la populace parisienne. Parlant de la masse de la nation, paisible et amie de l’ordre, il aurait dit : « S'ils désapprouvent, ce ne sera que timidement et sans bruit, et l'on a, pour leur en imposer, cette classe déterminée qui ne voit rien pour elle à perdre au changement et croit ÿ voir tout à gagner. Pour l’ameuter on a les plus puissants mobiles: la disette, la faim, l’argent, des bruits d'alarme et d’épouvante el le délire de frayeur et de rage dont on frappera ses esprits. »

Enfin ce seraient les pires expédients de la Révolution, le système même de la Terreur, qui auraient été dévoilés par avance à Marmontel : « Mais, lui dis-je, vos essais sont des crimes et vos milices sont des brigands. — 11 le faut bien, me répondit-il froidement. Que ferez-vous de tout ce peuple, en le muselant de vos principes de l’honnète et du juste? Les gens de bien sont faibles, personnels et timides; il n'y a que les vauriens qui soient déterminés. L'avantage du peuple, dans les révolutions, est de n'avoir point de morale. Gomment tenir contre des hommes à qui tous les moyens sont