Histoire de la liberté de conscience : depuis l'édit de Nantes jusqu'à juillet 1870

68 LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE EN FRANCE

L'évêque d'Agen, M£#' de Chabannes, avait entendu dire que M. Machault, le contrôleur général, avait donné une recommandation à un sieur Frontin, négociant protestant ; il s'empressa aussitôt d'adresser au ministre une lettre, pour lui reprocher de protéger un hérétique, et d'encourager par là ses coreligionnaires, « qui étaient de mauvais sujets du Roï » (mai 1755).

Antoine Court lui répondit dans son Patriote francais et impartial. Après avoir fait l'apologie de la sagesse des Réformés depuis l'Édit de Nîmes jusqu'à la révocation de celui de Nantes, il réclamait l'octroi d’un nouvel édit de tolérance en leur faveur, par les raisons suivantes: c’est que, d’abord, l'intolérance est contraire à l'esprit de Jésus-Christ et aux déclarations formelles de quelques papes, Grégoire le Grand entre autres, et de plusieurs évêques; en second lieu, elle a causé de grands dommages au Roi, et enfin, la situation illégale des mariages des protestants est une cause de misères et d'iniquités, intolérables dans un État bien organisé.

Deux ans après (1753), un Jeune maître des requêtes au Conseil d’État publia deux Lettres sur la tolérance, adressées à un grand vicaire qui avait été son condisciple, lorsqu'il étudiait la théologie au grand séminaire, et, l’année suivante, deux Lettres d'un ecclésiastique à un magistral sur les affaires présentes (ou le Conciliateur). Ges dernières sont le plus beau plaidoyer en faveur de la tolérance que l’on puisse imaginer (Rome, ro). L'auteur anonyme, qui n'était autre que Turgot, s’appuyait sur celte base fondamentale: l'ascendant que le vrai exerce sur les âmes, pour afirmer que « tout homme est capable de juger de la vérité de la religion. Le prince n’est pas juge de la vérité, en matière de divinité, car il erre souvent. Louis XIV en savaitil plus là-dessus que Le Clerc ou Grotius? » — Turgot partait de là pour attaquer le système d’une religion d'État et l'intolérance qui en dérive. « Aucune « religion, disaitil, n’a le droit d'exiger de l'État d’autre

« protection que celle de la liberté ; encore perd-elle ses droits