"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VI.

qui résiste à beaucoup d’or? » se demande le sauvage poète illyrien. Pour ses richesses, Juméli a aimé l’infidèle. « Où es-tu, Basile? Cara-Ali, que tu as reçu dans ta maison, enlève ta femme Juméli que tu aimes tant. » Le vampire est non seulement séducteur, mais il se fait un jeu, nouveau Pâris, de violer les lois de l’hospitalité. Le mari tire une terrible vengeance de celui qui l’a trompé; de son « beau fusil orné d’ivoire et de houppes rouges » il tue le pervers mécréant. Et non content d’avoir blâmé dans sa première partie la cupidité de la femme; d’avoir châtié comme il le mérite, le crime honteux d’un étranger peu soucieux de ce qu’il doit à son hôte, Mérimée, pour une fois farouche moraliste, punit d’abominable façon la sotte curiosité de l’homme qui, lui aussi, se laisse prendre à l’appât des richesses et delà domination. Avant de mourir, en effet, Cara-Ali a remis à l’épouse infidèle « un talisman précieux », le Coran qui lui vaudra sa grâce, mais causera la perte de l’infortuné Basile. «Basile a pardonné à son infidèle épouse ; il a pris le livre que tout chrétien devrait jeter au feu avec horreur. » Mal lui en prend, car « en ouvrant le livre à la soixante-sixième page » il se livre, « pour avoir renoncé à son Dieu » aux mains du vampire « qui le mord à la veine du cou et ne le quitte qu’après avoir tari ses veines ». Étrange histoire où le merveilleux ne paraît que dans la seconde partie, selon un procédé habituel à Mérimée qu’il nous sera plus commode d’étudier dans la ballade suivante. La morale, sans doute, est au fond de cette pièce ; mais est-elle bien sincère ? ce sont de vieux thèmes que la cupidité de la femme, la violation des droits de l’hospitalité, l’ambition des hommes. Mérimée, il faut le dire, nous paraît un moraliste quelque peu ironiste ;' son vampire qui représente ici le doigt de Dieu,