"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VI.

que ». Et nous découvrons ici, toujours et encore, ce perpétuel souci de Mérimée de faire accepter ses histoires, en leur donnant, en dehors de la notion du vampirisme même, quelque motif plausible qui puisse faire passer le merveilleux. Deux personnages jouent un rôle important dans cette ballade : c’est l’inconnu et le saint ermite qui lui aussi est anonyme; et pourtant Constantin Yacoubovich, qui y tient une place insignifiante, a donné son nom au poème; c’est lui, en effet, qui noue le drame en commettant le sacrilège, c’est lui qui aurait dû chasser comme un chien, loin de sa porte, ce mécréant maudit. Toute cette ballade nous paraît assez bien venue et bien composée ; c’est insensiblement que Mérimée nous fait passer de la réalité dans le domaine du merveilleux; quelque part il a donné sa recette pour y plonger le lecteur sans qu’il s’en aperçoive. Commencez par des portraits bien arrêtés de personnages bizarres, mais possibles, et donnez à leurs traits la réalité la plus minutieuse. Du bizarre au merveilleux, la transition sera insensible, et le lecteur se trouvera en plein fantastique bien avant qu’il se soit aperçu que le monde réel est loin derrière lui 1 . Cette ballade nous offre une excellente occasion d’étudier la manière dont Mérimée s’y prend pour y réussir en effet. Un tableau d’abord, en quelques lignes, pour situer la scène : Constantin Yacoubovich est assis devant sa maison; devant lui son fils joue avec un sabre; sa femme Miliada est accroupie à ses pieds. Survient un inconnu ; ce sera le personnage important du drame, il faut donc attirer l'attention sur lui : ici et là quelques traits qui nous le feront reconnaître tout à l’heure pour

1 Article sur Nicolas Gogol, cité par M. Filon, op. oit., p. 102.