"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

LE MERVEILLEUX DANS « LA GUZLA ».

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volume du Monde enchanté. Le diable alors avait encore un crédit prodigieux chez les théologiens de toutes les espèces, malgré Bayle et les bons esprits qui commençaient à éclairer le monde. La sorcellerie, les possessions et tout ce qui est attaché à cette belle théologie étaient en vogue dans toute l’Europe et avaient souvent des suites funestes. Tous les tribunaux retentissaient d’accusations portées contre les sorciers. De telles horreurs déterminèrent le bon Bekker à combattre le diable. On eut beau lui dire, en prose et en vers, qu’il avait tort de l’attaquer, attendu qu’il lui ressemblait furieusement, étant d’une laideur horrible, rien ne l’arrêta; il commença par nier absolument le pouvoir de Satan et s’enhardit encore jusqu’à soutenir qu’il n’existe pas. S’il y avait un diable, disait-il, il se vengerait de la guerre que je lui fais i . » Dans une note, Mérimée reconnaît avoir trouvé dans le Monde enchanté du « fameux docteur Balthazar Bekker » une histoire qui avait beaucoup de rapport avec la sienne 2 . C’était un demi-aveu. Il n’y a pas qu’une simple coïncidence entre la ballade de Mérimée et l’anecdote qu’il emprunte à Bekker ; on peut dire, au contraire, que, fondue avec une autre page de ce même écrivain, cette anecdote lui a fourni tout le sujet de l’Amant en bouteille. De quoi s’agit-il, en effet, dans cette ballade? D’une jeune fille qui porte dans une bouteille un amant mystérieux qui satisfait tous ses désirs. Or, que trouvons-nous dans l’anecdote de Bekker rapportée par Mérimée : l’histoire d’une jeune fille, fiancée à un esprit également mystérieux qui, comme celui de la ballade,

1 Dictionnaire philosophique, article : Bekker. 2 La Guzla, p. 212.