"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VI.

qu’il doit d’en avoir eu idée ; voici, en effet, ce que raconte à ce sujet l’auteur de la Magie naturelle : Aussi par non moindre efficace le sang des Menstrues putréfié peut engendrer des Crapaux & Raines, car facilement il se corrompt & se convertit, & mesme souventes fois femmes engendrent d’iceluy avec portée humaine des Crapaux, Lesards, & autres bestes semblables. Et nous lisons que les femmes de Salerne au commencement de leur conception, & alors que le fruit doit estre vivifié, sont coustimières de les tuer par Jus d’Ache, ou Persil, ou de Porreaux. Or estant quelquesfois advenu qu’une femme contre espérance semblast estre enceinte, enfin elle enfanta quatre bestes semblables à Raines : Voilà qui fait que souvent par un tel cas elles avortent, & ne doit-on cercher d’autre cause de cette monstrueuse génération, que cette qui a esté cy-dessus déclarée. Aussi par la corruption de la semence humaine s’engendrent és entrailles de petites bestes qui sont comme vermisseaux. Alcipe a enfanté un Eléphant, & sur le commencement de la guerre des Marses une chambrière engendra un serpent 1 . Combinant les renseignements que lui donne le physicien italien, à la vieille légende bien connue, Mérimée a écrit la Belle Hélène. L’héroïne de ce poème n’a pas grand mérite à se refuser aux avances de Piero Stamati ; il est laid et méchant, et il ne sait offrir pour la séduire que de l’or. Grande et forte, Hélène a jeté sur le dos le vieillard camus et rabougri qui est rentré dans sa maison pleurant, les genoux à demi ployés et chancelant. Il a juré de se venger; un juif lui en donne le moyen : et c’est une scène de magie à laquelle nous assistons. Il lui apporta un crapaud noir trouvé sous la pierre d’une tombe, et il lui a versé de l’eau sur la tête et a nommé cette bête Jean. C’était un bien grand crime de donner à un crapaud noir le nom d’un si grand apôtre ! Alors ils ont lardé le crapaud avec la pointe de leurs ataghans, jusqu’à ce qu’un venin subtil sortît de toutes les piqûres ; et ils ont

1 Jean-Baptiste Porta, Napolitain, La Magie naturelle qui est, les secrets & miracles de Nature. Nouvellement traduite de Latin en François. A Rouen, 1680, pp. 360-361.