"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

LA BALLADE DE L’ÉPOUSE d’ASAN-AGA.

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La précision fut du reste l’un des principes qui le guidèrent. Dans une note qui accompagne la Triste ballade, il déclare avec une fierté peu dissimulée que « l'on sait que le célèbre abbé Fortis avait traduit en vers italiens cette belle ballade» et que, venant après lui, il n'a pas la prétention d’avoir fait aussi bien. « Seulement, dit-il, j’ai fait autrement. Ma traduction est littérale, et c’est là son seul mériteT » « Je crois ma version littérale et exacte, ajouta-t-il dans sa seconde édition, ayant été faite sous les yeux d’un Russe qui m’en a donné le mot à mot 2 . » Et, dans la lettre à Sobolevsky, il fournit quelques détails relatifs à son travail : Il [Fortis] a donné le texte et la traduction de la complainte de la femme d’Asan-Aga, qui est réellement illyrique ; mais cette traduction était en vers. Je me donnais une peine infinie pour avoir une traduction littérale en comparant les mots du texte qui étaient répétés avec l’interprétation de l’abbé Fortis. A force de patience, j’obtins le mot à mot, mais j’étais embarrassé encore sur quelques points. Je m’adressai à un de mes amis qui saille russe. Je lui lisais le texte en le prononçant à l’italienne, et il le comprit presque entièrement. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la version de Mérimée, sur celle de Fortis et sur l’original serbocroate pour être persuadé que le soi-disant improvisateur qui a « écrit la Guzla en quinze jours », s’était vraiment donné une « peine infinie » pour faire une traduction convenable de la Triste ballade, et qu’il a beaucoup plus droit de s’en vanter que ne le suppose le lecteur volontiers sceptique. En effet, bien qu’elle ne soit pas exempte de fautes, la traduction de Mérimée est une des plus exactes parmi toutes celles que nous

1 La Guzla, p. 256. 2 Chronique du règne de Charles IX, suivie de la Double Méprise et de la Guzla, Paris, 1842, p. 475.