"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VII.

avons énumérées plus haut. Goethe, qui dans la plus grande partie de son Klaggesang s’appuyait sur la traduction de Werthes, faite elle-même d’après les vers de Fortis, ne manqua pas de reproduire un certain nombre de fautes qu’avaient commises ses prédécesseurs. M lle Talvj et M. Dozon, les deux traducteurs les plus fidèles de cette ballade, malgré leur connaissance approfondie du serbo-croate, ont utilisé tous les deux les mauvais textes de Karadjitch ; ainsi s’ils ne péchèrent pas par ignorance, ils péchèrent pour avoir négligé de bien choisir leur original. Mérimée voulut composer sa traduction sans le secours de ceux qui l’avaient précédé. Il avait une méfiance instinctive des vers italiens du « célèbre abbé Fortis », qu’il croyait même beaucoup plus inexacts qu’ils ne le sont en réalité. Préférant s’inspirer directement de l’original, ce fut, paraît-il, la seule version étrangère qu’il consentit à consulter incidemment, et il ne la consulta jamais que dans le cas où ni lui ni son mystérieux ami qui savait le russe ne purent déchiffrer le sens du texte « morlaque 1 ». Il paya cette hardiesse par plusieurs

1 Qui était cet ami qui l’aida à traduire la Triste ballade ? M. Matié veut que ce soit J.-J. Ampère, parce que Mérimée dit une fois de lui : « il sait toutes les langues de l’Europe. » (Archiv, XXIX, 78 ; Brankovo kolo, 1908, p. 646.) Mais M. Matié oublie qu’ailleurs l’auteur de la Guzla déclare expressément que cet ami non seulement savait le russe, mais qu’il était Russe. (Éd. de 1842, p. 475.) Ampère ne connaissait aucune des langues slaves et, quand il avait .à parler des Slaves, il utilisait des ouvrages allemands. (Littérature et voyages, 1833, Mélanges, 1867.) Nous ne voyons pas pour quelle raison Mérimée n'aurait pu se renseigner auprès d’un véritable Russe. Dès cette époque, il avait des relations dans la colonie, alors très nombreuse, des Russes à Paris, ne fut-ce pas, en effet, un Russe qui se chargea de transmettre la Guzla à Goethe? On le voyait chez M”"’ Zénaïda Wolkonska, et il pouvait rencontrer chez les Stapfer un M. Melgounoff (Novoé Vrémia du