"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VIII.

scène de revenants, qui se déroule dans la grande salle du château ; puis tout finit par s’arranger au mieux des intérêts de nos amoureux, au gré des Monténégrins et de l’honneur national français. Feux de Bengale, grandiose et touchante apothéose : « Les Français et les Monténégrins se tiennent embrassés, tandis que le canon ne cesse de gronder au loin. » Indépendamment de tout ce merveilleux d’opéra-comique, de ces brûlantes et naïves amours qui sont de pure invention, il y a dans cette pièce de véritables hérésies au point de vue de l’histoire. En réalité, il n'y eut jamais au Monténégro départi national pour désirer le protectorat d’aucun maître; on ne vit jamais de chef trahir son peuple ou vouloir le vendre à la Russie. Toute cette politique raffinée est un contresens. Ces braves montagnards résistèrent avec l’énergie du désespoir à l’envahisseur, simplement parce qu’ils sentaient leur indépendance menacée. C’est un Monténégro de fantaisie que celui de Gérard de Nerval; l’auteur ne doit à ce pays qu’un décor où il a pu laisser errer librement sa romantique imagination. Les journaux du temps louèrent beaucoup la musique du Belge Limnander 1 , mais le livret ne fut pas inséré dans les Œuvres complètes de Gérard de Nerval. La pièce obtint un succès si grand que, durant le carnaval de 1850, « les bouchers adoptaient pour le cortège du bœuf gras les costumes pittoresques des figurants et invitaient l’auteur à un banquet où il développa, sans faire de prosélytes, on peut le croire, ses théories végétariennes 2 ».

1 Journal des Débats du 4 avril 1849 (Hector Berlioz).’ — De Moniteur du 12 (Hippolyte Prévost). F. Clément et P. Larousse, Dictionnaire des Opéras, Paris, 1897, p. 755. 3 Maurice Tourneux, Gérard de Nerval (l’Age du romantisme, 3 e livraison), Paris, 1887, p. 10.