La question du sel pendant la Révolution

XXIV

sel soit en pain soit formé qui se fait dans la Ville, les fauxbourgs, banlieues et villages circonvoisins, est entièrement perdue pour les suplians, tandis qu’elle étoit ci-devant leur revenu le plus net; vous daignerés reconnoitre, Messieurs, que la détresse affligeante où ils se trouvent mérite quelque attention de votre sollicitude paternelle.

Mais ce sont point là, Messieurs, toutes les pertes qu’ils éprouvent, ils en supportent encore qui sont d’une autre importance; possesseurs d'emplois transmissibles et hereditaires, que depuis un tems immémorial l’on étoit accoutumé de regardé comme de véritable propriété, que plusieurs ont acquis en se dépouillant du patrimoine que leurs auteurs leur avoient laissé, qu’ils se flattoient de transmettre à leurs enfans comme un héritage qu’ils avoient reçu de leurs pères, ils ont tout perdu; tous ces avantages sont maintenant pour eux comme si jamais ils n’avaient existé.

En effet, Messieurs, d’après les principes sacrés de la Constitution qui supprime toute vénalité, toute hérédité, toute transmissibilité d’offices, charges et emplois, les suplians ne peuvent avoir, avec raison, la plus legére espérance, que la règle se courbera en leur faveur, et que la Loi qui est faite pour tous, ne leur sera point apliquée. D’un autre côté, d’après le principe de M. Camus, adopté par l’Assemblée nationale, que lEtat ne doit rien à qui n’a rien donné à l'Etat, il n’y a pas de doute qu’il ne fissent une démarche inutile, s’ils demandoient une liquidation ou le remboursement des sommes que leurs offices leur ont coûté.

Dans une position aussi critique, aussi malheureuse, reste-t-il aux suplians autre chose que le désespoir, si votre humanité ne leur tend une main secourable, en leur accordant un traîtement ou une pension telle que vous la jugerés convenable aux pertes qu’ils éprouvent depuis le 10 mai 1700, époque où la liberté de prendre les sels en grains ou formés sans être embenatés, leur fut notifiée et commença à être exécutée.

Les suplians craignant, avec raison, Messieurs, d’abuser de vos momens précieux, ne s’étendront pas davantage; ils espèrent que les raisons et les faits que ce court exposé renferme, établissent assés la bonté de leur cause ; elle est si intéressante par elle-même, qu’ils osent garantir l'effet qu’elle peut produire dans vos ames sensibles; tout leur prouve, tout leur atteste que leur demande ne sera point rejettée; que vous vous interesserés à leur sort. Lorsque votre patriotisme déployant une juste sévérité, frappe et aneantit tous les abus, votre humanité sensible et prévoyante epargne avec un soin attentif et scrupuleux les individus dont les interêts se trouvent liés avec l'existence de ces mêmes abus; ils en prennent à témoin la supression des Ordres monastiques, la Constitution civile du Clergé, l’organisation de l’Ordre judiciaire. Dans ce nouvel ordre des choses admiré et envié de toute l'Europe, l’on voit toujours la tendresse d’un père marcher à côté de l’inÎlexible équité du législateur. Aussi, Messieurs, ‘jamais les suplians n’auroient entrepris de retracer à vos yeux les tristes vérités qui les concernen, sans cette vive confiance que leur inspire la haute opinion que tout citoyen françois doit avoir de vos vertus; et avec quel plaisir ils auroient fait à la Patrie un sacrifice du traîtement qu'ils attendent de vous, si ce sacrifice ne leur étoit pas vraiment impossible. Mais qui pourroit les blâmer de vous avoir adressé leurs réclamations, de vous avoir demandé ce traîtement, lors-