La vente des biens nationaux pendant la Révolution française : étude législative, économique et sociale : ouvrage accompagné de deux plans

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et qui ne se sent pas protégé, n’éprouve-t-il pas invinciblement le sentiment de la peur? n’est-il pas instinctivement porté à se soustraire aux dangers du lendemain? Telle fut la cause première qui détermina et excusa l’émigration. Peu après les événements qui suivirent le 14 juillet, le comte d’Artois, les ducs de Berry et d'Angoulême, ces princes du sang portés sur les listes de proscription, franchissent les frontières, et bientôt leur exemple est suivi par de nombreux membres de la noblesse, également menacés, tels que Condé, Bourbon, les ducs des Cars, de Villequier, etc. Après les journées d'octobre, le mouvement se généralise et s’accentue de jour en jour. Les proportions en furent telles que l’Assemblée finit par s’en émouvoir; elle s’en émut surtout lorsqu'elle constata le rassemblement des émigrés sur la frontière du Rhin. Au sentiment légitime de terreur, qui dans l’origine avait inspiré l’émigration, était en effet venu depuis s’en joindre un autre, celui qui porta un grand nombre d'émigrés à se réunir en armée pour marcher contre la France. Les premières inquiétudes se manifestèrent au commencement de 1791, notamment à la séance du 28 février, où le Comité de constitution, en présentant son rapport sur un projet de loi relatif aux émigrés, se demandait si une loi de cette nature s’accorderait bien avec les principes de la liberté et de l’ordre public, et si elle ne serait pas