Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

312 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION

jointe au groupe de comédiens dissidents qui, Talma et Dugazon en tête, fondèrent le second ThéâtreFrançais. Quoique dépourvue de beauté, elle s'était placée au premier rang par son talent, notamment dans les rôles d’'Andromaque, de Chimène, de Zaire, de Bérénice, de Monime, de Mélanie, et d'Hédelmone de l'Othello de Ducis. Sa mort prématurée eut lieu dans des circonstances réellement fort dramatiques. Lorsqu'elle se crut trahie par celui qu’elle aimait ardemment, prenant au sérieux la fiction tragique, et la transportant dans sa vie privée, elle se frappa de trois coups de poignard. Ses blessures ne furent pas mortelles, mais portèrent une atteinte assez grave à sa santé pour la contraindre, peu de temps après, à abandonner le théâtre.

Retirée à la campagne, dans une maison isolée, des voleurs y pénétrant, la garottèrent elle et ses femmes, en les enfermant dans la cave.

Ce fut seulement vingt-quatre heures plus tard, qu'attirés par leurs cris, des habitants d’un hameau voisin vinrent les délivrer. Mais cette terrible secousse avait ébranlé ses organes déjà affaiblis; sa raison s'égara, et elle mourut folle, peu après ce fatal événement, à l’âge de vingt-sept ans.

Etienne et Martainville terminent le récit de cette fin tragique par une réflexion philosophique qui a bien la saveur de l’époque :

« Le sort de cette femme intéressante et malheureuse pourrait Confirmer cette triste maxime, qu’un cœur sensible est le plus funeste présent qu’ait pu nous faire la Divinité. »

C’est à ce moment que les comédiens du théâtre de la République eurent la pensée, en s’attaquant au fanatisme et à la superstition, de faire disparaître les préjugés qui jadis pesaient sur eux et sur leur profession de la façon la plus humiliante.