Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

LES DÉBUTS DE LA RÉVOLUTION 35

talent comique eût été parfait, si parfois il n’eût versé dans une exubérance de verve et des charges d’un soût douteux.

” Il ne sut pas plus éviter l’excès dans les opinions politiques qu’il adopta que dans son jeu de scène.

La femme de Dugazon, cette charmante actrice de l’'Opéra-Comique, qui a su donner son nom, encore conservé dans les troupes de province, à l'emploi qu’elle remplissait avec un réel talent, était loin de partager l'opinion de son mari.

Aïnsi un soir, en 1792, la reine, qui, souvent insultée, avait renoncé à se montrer en public, se laissa conduire au théâtre avec ses enfants et Madame Elisabeth. Son entrée fut saluée par de vifs applaudissements. M Dugazon remplissait le rôle de Lisette dans les Evénements imprévus. Au 2° acte, dans un duo, se trouvent ces deux vers :

J'aime mon maitre tendrement, Ah! combien j'aime ma maitresse.

On vit alors l’actrice tourner manifestement son regard vers la reine, mettre la main sur son cœur, et chanter ces paroles avec une expression des plus significatives. Aussitôt des cris répétés : « la prison! » se firententendre. Loin de s’effrayer ni de se troubler, M Dugazon chanta une deuxième fois ces vers, en les adressant à la reine, avec un sentiment encore plus accentué. Devant cet audacieux défi,le public entraîné, enthousiasmé fit éclater de chaleureux bravos, étouffant toutes marques d’improbation ; mais peu après, une altercation violente entre les Jacobins et les partisans de la reine amena l'intervention de la police. Marie-Antoinette sortit du théâtre extrêmement émue. Ce fut la dernière représentation à laquelle elle assista. Quant à la courageuse artiste, elle cessa de paraître dans ce rôle, et dût, pendant la Terreur,