Mémoire sur la Bastille

LINGUET 121

qui résulte de l’absence de leur chef : après en avoir souffert tant qu’il existe, on leur envie jusqu’au triste remède que produiroit la certitude de son sort.

Lecteurs, dont cette description n’a que trop souvent serré le cœur, vous croyez être au bout. L’imagination ne vous paroît pas pouvoir aller, dans l’art de créer des supplices, au delà des raffinemens multipliés que je viens de vous dépeindre. Un aréopage de bourreaux s’indigneroit en songeant au sang-froid avec lequel ces dispositions ont été réfléchies, combinées, au calme avec lequel on les exécute. Eh bien, voici quelque chose de plus fort : voici un trait qui m’est personnel, et qui passe tout ce que vous venez de voir.

Depuis le 27 septembre 1780 jusqu’en octobre 1781, c’est-à-dire pendant douze mois, j'étois resté non seulement dans une privation absolue de toute espèce de correspondance au dehors, ou avec une correspondance pire encore que la privation, comme on le verra plus bas, mais dans une ignorance non moins absolue de ce qui s’y passoit en général, ou relativement à moi:onne m’avoit laissé parvenir que les nouvelles propres à augmenter mon désespoir, à m’enlever jusqu’à l'attente d’un avenir moins affreux. Plusieurs même, par un raffinement auquel on tremble de donner une épithète, étoient fausses, fabriquées

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