Mémoire sur la Bastille

122 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

uniquement pour m'induire en erreur, et pour rendre cette erreur plus amère ou plus funeste, (Voyez la note 0.)

Ainsi, on me disoit à moi-même journellement, et en riant, que je ne devois plus m’inquiéter de ce qui se passoit dans le monde, parce qu’on m'y croyoit mort; on poussoit le badinage jusqu’à me détailler les circonstances qu’une rage forcenée, ou une horrible légèreté ajoutoit à ma prétendue fin. On m’assuroit que je n’avois rien à attendre de l’empressement et de la fidélité de mes amis, moins encore parce qu’ils étoient trompés comme les autres sur mon existence que parce qu'ils m'avoient trahi : cette double imposture avoit pour objet, non seulement de me tourmenter, mais tout à la fois de me donner une confiance sans réserve pour le seul traître que j’eusse en effet à redouter, et qu’on me présentoit sans cesse comme le seul fidèle; et de pénétrer, par la manière dont je recevrois ces insinuations, si j’avois en effet quelques secrets qui m’exposassent à des trahisons.

En octobre 1781, l’accouchement de la reine m'avoit donné quelques lueurs d’espérance. On n’avoit pas pu me cacher cette nouvelle : j’avois sur ma tête le canon chargé de la publier, et sous les yeux les réjouissances qu’elle produisoit!. Ces

1. Il s’agit de la naissance du fils aîné de Louis XVI,