Mémoire sur la Bastille

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mois se joignoient aux morales pour la détruire, ayant produit leur effet; me trouvant attaqué de manière à ne pouvoir plus me flatter même de disputer ma vie davantage; sentant à chaque minute approcher celle où j’allois perdre non pas la lumière que je ne voyois point, mais la sensibilité qui faisoit de mon existence Le plus cruel des sup= plices, jai désiré de faire un testament. Il falloit pour cela une permission expresse : je l’ai demandée ; j’ai supplié les ministres de me permettre de voir lofficier public qui seul pouvoit constater mes dernières volontés, et le dépositaire de qui seul je pouvois tenir les connoissances indispensables pour ne pas faire des dispositions illusoires. J’ai réitéré journellement, pendant deux mois qu’a duré mon danger, les instances les plus vives, les plus attendrissantes, j’ose le dire, à ce sujet. Le médecin de la Bastille a eu la complaisance de porter lui-même au lieutenant de police, organe immédiat du ministère en ce genre, une attestation de mon état, et du péril imminent que je courois : un refus impitoyable a été l’unique réponse; de sorte que, traité comme mort depuis quinze mois, privé de toutes les facultés des vivans sans exception, hors celle de souffrir, je perdois jusqu’à l’espoir de jouir, quand j’aurois en effet cessé de vivre, des derniers droits qu’en aucun