Mémoire sur la Bastille

LINGUET 125

pays on ne refuse aux morts, du moins à ceux que des arrêts solennels n’ont point dégradés:.

C’est ainsi que j’ai passé les mois de décembre 1781 et de janvier 1782 entiers dans la persuasion chaque soir que je ne verrois pas le lendemain, et chaque matin que je n’entendrois pas annoncer la fin du jour par l'horloge lugubre qui, dans cette nuit éternelle, marque seule la division des temps. Et, qu’on y songe, cette attente, toujours trompée, devenoit sans cesse de plus en plus douloureuse, par le sentiment du caprice qui m’envioit jusqu’à la satisfaction de laisser après moi des traces de bienfaisance, et des marques de souvenir aux amis qui pourroient encore chérir le mien.

Voilà un fait : pourra-t-on donner un motif?

On ne peut pas m'objecter le régime de la maison, les prétendues lois de cet écueil de toutes les lois : non seulement le délire oppressif n’y est pas porté jusqu’à l'excès de faire du refus des actes civils une règle dont on ne puisse s’écarter, mais il fait quelquefois à ses victimes une nécessité de ces actes. La Bastille a un notaire breveté : il peut donc en général y exercer ses fonctions; moimême on m'avoit, dans les premiers temps, non pas permis, mais forcé de l’employer.

1. La mort civile n’a été abolie en France que par la loi du 2 mai 1854.