Mémoire sur la Bastille

132 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

il y a eu des livres, des correspondances; c’est que tous les jours, dans le temps où un silence imposteur autant qu’effrayant donnoit à mes amis de trop justes alarmes, il y recevoit des visites ; c’est qu’en ayant eu le soupçon et m’étant permis, pour m’en assurer, d'en hasarder le reproche dans une des rares et courtes entrevues que m'a accordées le lieutenant de police, ami, comme on sait, et créature de M. de Sartines, il m'a répondu en convenant du fait et rejetant les ménagemens dont on usoit envers les prisonniers que je lui nommois sur ce que le ministre, auteur de sa détention, étoit bon; et, sur mon observation toute naturelle que la différence des traitemens auroit dû dépendre de la gravité des accusations, et non de la bonté personnelle de chaque ministre, il m’a ajouté ces mots remarquables, qu’il « ne pouvoit qu'y faire, parce que personne ne s’intéressoit à moi ».

De sorte que les horreurs de ma captivité, la redondance avec laquelle on m’a noyé de toutes les horreurs de la Bastille, ne sont venues que de n’avoir pas eu le bonheur d’être mêlé dans quelque intrigue obscure et honteuse, vraiment relative aux intérêts de l’État; de n’avoir pas été sacrifié à un manège adroit, qui cachât l’indulgence sous les symptômes apparens de la sévérité; de n’avoir eu parmi les ministres que des ennemis directs