Mémoire sur la Bastille

134 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

L'exemple seul que je viens de citer et le mien prouvent qu’il est susceptible de modification ; qu’il est subordonné uniquement à la vengeance, au désir qu'ont les cœurs infernaux qui le dirigent de servir le ressentiment ou les nécessités de leurs patrons ; ils prouvent que, de même que le ministère de France a des magasins de lettres de cachet signées d'avance qu’il attend sans bruit le moment d'appliquer, il a aussi des réserves de douleurs qu’il ne déploie que quand l’ordre fatal a eu son exécution; ils prouvent qu’il ya à la Bastille un tarif de tortures pour chaque commensal, comme il y en a un pour leur pension, et qu’en fixant au lâche cantinier qu’on charge de leur subsistance le prix des alimens destinés à prolonger leur vie, on détermine aussi la mesure de fiel dont il doit l’empoisonner. Le régime de la Bastille est donc institué uniquement pour tourmenter; et qui? Des innocens reconnus, puisque des soupçons fondés motivent des égards ou un renvoi. Au nom de qui? Au nom du roi, du magistrat suprême, du protecteur né de l’innocence, du gardien de la foiblesse ! C’est son intervention plus directe qui produit des effets plus cruels; c’est par ses ordres immédiats qu'on se prétend autorisé à soumettre un infortuné qui n’a offensé ni lui, ni les lois, ni rien de ce qu'elles obligent de respecter, à des supplices