Mémoire sur la Bastille

LINGUET 13/7

tique barbare qui autorisoit les tribunaux à torturer des accusés simplement suspects, pour essayer si par là on ne réussiroit pas à les rendre criminels 1.

Vous êtes donc bien loin de soupçonner que, dans votre royaume, dans votre capitale, sous vos yeux, il existe une place dévouée spécialement à perpétuer sur l’innocence une question mille fois plus cruelle que toutes les questions préparatoires proscrites par vous, puisque enfin elles ne brisoient que les corps, au lieu que celle de la Bastille ne déchire le corps que pour pénétrer plus fructueusement jusqu’à l’âme. Vous êtes loin de soupçonner que l’on ajoute encore arbitrairement à ce régime infernal ; que les agens subalternes, choisis pour le maintenir, trouvent de la satisfaction et du profit à l’outrer; que, pareils à ces chiens achar-

1. On appelait question préparatoire la torture appliquée à l’accusé d’un crime constant, capital, lorsque, les indices étant considérables contre l’accusé, la preuve ne se trouvait cependant pas être suffisante pour le condamner à mort, (Ordonnance criminelle d'août 1760, titre IX, art. 1 et 2; ütre XXV, art. 13.) La déclaration du 24 août 1780, registrée le 5 septembre en Parlement, abolit ce mode de procédure, depuis longtemps odieux à l’opinion publique et regardé comme aussi dérisoire par ses résultats que barbare en lui-même, — La même année, le 30 août, fut rendue la déclaration portant établissement de nouvelles prisons pour dettes civiles, qui améliorait beaucoup le régime des prisonniers, et créait à l'Hôtel de la Force une maison modèle pour l’époque. C'est à cette déclaration que Linguet a emprunté l'épigraphe de ses Mémoires.

18