Mémoire sur la Bastille

NOTES 143

On y lit, par exemple, qu’un prisonnier ayant été renfermé dans les souterrains d’une des tours, il arracha, avec ses mains, tant de pierres des fondemens qu’il les ébranla, et que le gouverneur, effrayé, fut forcé de loger ce nouveau Samson dans le plus bel appartement du château, pour en prévenir la chute,

L'auteur de ce conte ne savoit donc pas que les murs de la Bastille ont, aux endroits où ils sont les plus minces, au moins douze pieds d'épaisseur, et trente, quarante, cinquante dans les autres; qu’ils sont de la plus superbe pierre de taille, et par conséquent aussi solides que les cœurs des gardiens sont impitoyables.

D’ailleurs, Renneville ne parle que de mauvais traitemens physiques : il est vrai qu’on ne les épargne pas dans ce lieu où toutes les manières de rendre l’existence insupportable sont employées; mais, comme on l’a vu ci-devant, ce n’est pas sur cette ressource que comptent le plus les question naires à croix de Saint-Louis, qui se chargent d’y administrer les douleurs : ce sont les âmes qu’ils torturent, et cela est bien plus ingénieux,

4. P. 10. Consacré en apparence à la justice. — C’est le lieutenant général de police : il est le véritable administrateur de la Bastille, le gouverneur en chef de ce chäteau ; c’est par lui que passent tous les ordres ; il n’a de supérieur dans ce district que le ministre immédiat du département de Paris,

C’est une inconséquence dont on ne peut trouver d'exemple qu’en France, que cette association de la robe avec l’épée, d’un magistrat avec des stipendiaires armés, pour consommer une oppression que les lois proscrivent et que la robe, la magistrature, font profession de détester. Et ce n’est pas pour l’adoucir que la régie en a été ainsi confiée à un maître des requêtes : c’est pour la légitimer, en quelque sorte, ou du moins la légaliser, s’il étoit possible.

Les troupes de la fermegénérale, les soldats de la finance, ont, en France, le droit de rédiger des actes civils et juridiques, de dresser des procès-verbaux, de faire subir de vrais interrogatoires à ceux qu'ils arrêtent et qu’ils fouillent; les