Mémoire sur la Bastille

NOTES 163

s'ils ont surtout le bonheur d’être inconnus au sérail.; ils n’ont pas même l’idée d’une Bastille et d’une lettre de cachet.

En Perse, dans ses temps de gloire, de calme, c’est-àdire jusqu'aux guerres civiles qui la dévastent depuis un demi-siècle, non seulement ces ressources de la vengeance ministérielle étoient également inconnues, mais la justice ordinaire même avoit trouvé moyen d’épargner aux accusés vraiment suspects l’humiliation et l'horreur des cachots. Les prisons y étoient mobiles; l’homme dont l’ordre public:exigeoit que l’on s’assurât ne perdoit de sa liberté que ce qu'il falloit lui en ôter pour qu’il ne pût ni se soustraire au châtiment, ni se rendre plus criminel, Une industrie plus compatissante que sévère y avoit imaginé la cangue, espèce de triangle de bois portatif qui, étant fixé au cou et prenant une des mains de l'accusé, ne pouvoit ni se cacher, ni,se détacher, sans cependant lui ôter aucune de ses facultés. Portant ainsi avec lui une garde peu dispendieuse, il conservoit la jouissance du jour, celle de la vie, l’administration de ses affaires, toutes les facultés nécessaires pour éclaircir son innocence, sans cesser d'être soumis à la puissance:civile chargée de la vérifier.

On nous parle des exécutions sanglantes ordonnées: par des monarques ivres; mais ces horreurs étoient renfermées dans les harems, et l’institution seule de la cangue prouve que l'esprit général de la nation, sans excepter le gouvernement, avoit autant de douceur que d'équité.

C’est la même chose au Mogol, dans toutes les Indes, -à la Chine, au Japon. Dans ce dernier pays, d’où notre: inquiétude nous a justement fait bannir, les relations qui nous en viennent assurent que les mœurs sont cruelles etles supplices aussi prompts qu’affreux. Cela se peut; mais au moins, d'un côté, la rapidité compense la barbarie ; .on-ne connoît point ces longues détentions qui éternisent le plus horrible des supplices, le désespoir produit par l’incertitude de la fin des maux.

L'homme que l’on éventre, qu’on précipite sur des crocs, qu’on hache en dix mille morceaux, qu’on pile vivant dans un mortier, s’il est vrai que ces peines raffinées soient com-