Mémoire sur la Bastille

164 NOTES

munes, cet homme a été jugé, il a pu se défendre, se justifier; c'est le magistrat, c’est la loi, et non pas le caprice qui l’ont condamné.

Nos missionnaires ont quelquefois habité des prisons dans l’Inde. Etrangers, inconnus, prêchant des nouveautés qui devoient paroître bizarres même aux appréciateurs les plus indifférens, et dangereuses, criminelles aux magistrats et surtout aux prêtres, dont ils se déclaroient les ennemis, il n’y avoit point d'hommes contre qui la sévérité fût plus légitime et les lettres de cachet plus excusables; cependant, ils sont obligés de rendre justice à l’humanité des juges qui les détenoient, des geôliers qui les gardoient, des naturels du pays qui les visitoient, les consoloient, les nourrissoient.

Nous ne voyons d’exemple approchant de nos châteaux royaux et des ordres qui les peuplent que dans l’aventure des princes du sang baptisés par les jésuites, exilés d’abord et ensuite renfermés sous l’empereur Jontching'. Les missionnaires qui nous ont instruits de cette catastrophe ne nous en ont point révélé la cause : mais, quelle qu’elle soit, leur récit constate bien qu’il n’y a point de Bastille à la Chine, puisqu’on fut obligé d'en construire une exprès pour chacun des princes destinés à en subir le séjour.

Et alors même ce ne fut pas une soustraction clandestine, opérée sourdement par des exempts de police, qui laissât une égale incertitude sur la vie des prisonniers et leur crime ou leur innocence. Ces prisons momentanées furent construites avec appareil; on eut soin de les rendre visibles, comme l’exemple d’un grand châtiment, et sans doute, dans le pays, personne n’en ignoroit le sujet.

Mais, au milieu de cette rigueur effrayante, les patiens recevoient encore des adoucissemens : ils voyoient quelquefois leurs domestiques, ils faisoient demander les secours spirituels des jésuites auteurs de leur infortune, on leur portoit de chez eux des habillemens, de la nourriture, des nouvelles, enfin, tout ce qui est scrupuleusement exclu de la Bastille.

Dans l’Asie entière, il est impossible de découvrir une

1. Young-Tching (1722-1735).