Mémoire sur la Bastille

NOTES 165

prison d'État constante, admise au nombre des principes du gouvernement, ailleurs qu’à Ceylan. « Le roi y a, dit un voyageur, quantité de prisonniers qui sont enchaïinés, les uns dans les prisons ordinaires, les autres sous la garde des grands. On n'oseroit s'informer pourquoi, ni depuis quel temps ils y sont; on les tient ainsi durant cinq ou six années; quand on les emprisonne, c’est par l’ordre du roi... »

Voilà bien quelque chose de la Bastille : les ministres d’État de Ceylan se rapprochent un peu de ceux de la rue Saint-Antoine, mais observez cependant qu’il n’y est pas question de ces cachots spécialement destinés à ensevelir les infortunés sur le crime ou la catastrophe desquels le silence est si impérieusement prescrit. Ils sont déposés dans les prisons ordinaires ou confiés à la garde des grands.

Dans le premier cas, ils n’essuient donc qu'un malheur commun à tous les accusés; dans le second, ils doivent trouver dans ces chartres privées, quoique royales, des soulagemens de toute espèce. On ne peut pas supposer que toute la noblesse de Columbo ou de Candi : prenne le cœur d’un gouverneur de la Bastille, parce qu’un despote en exige d’elle passagèrement les fonctions. Il est évident, d’ailleurs, qu'aucun de ces gentilshommes basanés ne peut avoir chez lui ni ces fenêtres, ni ces cheminées à dentelles de fer, ni ces murs de trente pieds d'épaisseur, ni ces cabinets qui sont une prison dans une prison et qui varient à chaque instant les douleurs comme l’ignominie,

L’Asie entière est donc évidemment exempte de cette peste qui consume chez nous tant de citoyens.

En Amérique, il y a bien d’autres sortes d'oppressions, et en Afrique aussi; mais on n’y connoît pas celle-là. Les Indiens, dans le nouveau monde, sont écrasés par des maîtres impitoyables, qui sont eux-mêmes avilis par la superstition ; une partie des côtes de l’Afrique est soumise à un gouvernement arbitraire, qui n’a que les abus et les dangers de celui qui règne en Asie. Le reste n’est guère dévasté que par notre commerce : ce sont des marchands

1. Kandy (présidence du Bengale).