Mémoire sur la Bastille

166 NOTES

d'Europe qui portent des chaines aux habitans de Congo ou de Juidaï, et non leurs princes qui les en accablent; on les vend, on les dévoue à une vie active, mais aucun ministre n’a le droit de les condamner, pour son bon plaisir, à une inaction meurtrière. Certainement, ils sont très malheureux dans les cases des Antilles, mais c’est d’un autre malheur, et d’un malheur qui admet des adoucissemens, des consolations. Ils ont leurs femmes, leurs enfans; l'exactitude à remplir leurs devoirs peut les sauver du fouet des commandeurs, mais elle ne sauve personne d’une lettre de cachet et du régime qui s'ensuit.

C’est donc en Europe seule qu’on peut redouter ces terriblés fléaux, et encore dans quelle partie de l’Europe sontils à craindre? Ce n’est pas, comme on le sait, dans toute la Grande-Bretagne : une détention arbitraire y seroit un crime de lèse-peuple, presque aussi rigoureusement poursuivi qu’un de lèse-majesté; et j'ai rendu ci-dessus hommage àlavérité non moins connue que, dans les détentions même que des intérêts supérieurs et des ordres relatifs au service public autorisoient, l’accusé, le prisonnier, même coupable, ne perdoit aucun des droits de l'innocence ni aucune de ses ressources.

En Allemagne, les princes sont, en général, assez despotiques dans le sens que l’usage ordinaire attache à ce mot, c’est-à-dire qu'aucune barrière effective ne gène ni l'emploi, ni l'abus de leur pouvoir ; cependant ils n’ont ni Bastille, ni équivalent. Rien ne les empêcheroit de se donner cet amusement; mais, soit que l’idée n’en vienne qu'aux ministres des grands États, soit que le recours à l’empereur ou aux tribunaux existans et la crainte de donner trop d’influence à ces épouvantails, qui ne manqueroient pas l’occasion de se signaler s’ils la trouvoient, contiennent les propriétaires de ces grands fiefs, soit que le peuple, encore docile, patient, et en général peu instruit comme peu passionné, obéisse assez sans qu’on l’assujettisse à ce joug, il me semble qu’il n'existe pas de Bastille, depuis le Rhin jusqu’à l’Oder, que Spandau:

1. Ouïidah, on Wydah (Dahomey).