Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

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selon sa constante opinion, que la morale peut fort bien aller sans la religion et que la vertu n’est pas la suite nécessaire de la croyance en l'existence de Dieu. Il est vrai qu'il se fait une singulière idée de la vertu : « Ce n’est, dit-il, qu'une sorte de mécanisme. Avec de bons jugements et des habitudes, qui y répondent, un homme est honnête par tempérament ; il fait nécessairement le bien , et en quelque sorte par instinct, comme l'animal sait la mère qui l'allaite. » Et pour qu’il ne reste pas de doute à cet égard sur sa pensée, il ajoute: « L'homme n'est pas plus maître de changer de facon de sentir, de voir et d'agir, qu'une boule de billard n’est libre de se mouvoir avec une vitesse plus grande, et dans une direction opposée à celle qu'elle a une fois reçue : la nécessité est ici la même pour l'être de chair que pour le corps brut; la seule différence, c’est que l’homme a la conscience de son mouvement, et que la boule ne la pas. », Ce qui ne l'empêche pas, cependant, de célébrer la vertu : « N'est-ce donc rien, s'écrie-t-il, que cette paix intérieure de l'âme, qui embaume, pour ainsi dire, tous les instants de la durée de l'homme, qui rend son sommeil tranquille et son réveilsi serein et si délicieux? N'est-ce rien enfin , au moment de se réunir à la masse générale et commune, que de pouvoir être heureux encore, par le souvenir du bien qu'on a fait , et par l'espérance si douce et si consolante de laisser à ses enfants, à ses amis, à tous les gens de bien, un nom et une mémoire honorés? Quand il serait aussi vrai, qu'il est faux et contraire à l'expérience, que les bonnes actions que l’on fait, ressemblent aux arbres que lon plante, el qui ne portent de fruits que dans