Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA GIRONDE. 199

gaucherie, cette timidité proverbiale, et la crainte du public. Il passe sa jeunesse dans une famille composée de dignitaires de l’Église, d'hommes d'épée, il continue ses études avec les Pères Jésuites. Résultat : dédain absolu de la noblesse, scepticisme complet, superstition de l’abstrait, fanatisme d'irréligion. Comme Mozart, comme Gœthe, comme Victor Hugo, il est un enfant prodige. À seize ans, il soutient avec tant d'éclat une thèse de mathématique devant Clairaut d’Alembert et Fontaine, que ceux-ci le saluent comme leur futur confrère à l’Académie. « J'ai cru un moment qu'il valait mieux que moi, dira plus tard Fontaine‘, j'en étais jaloux, mais il m'a rassuré depuis. »

Ses premiers travaux lui valent l’honneur insigne d'entrer, à peine âgé de vingt-six ans, à l’Académie des sciences. Doué d’une mémoire extraordinaire, travaillant dix heures par jour, il mène de front les études les plus variées, aime à se doubler, à se centupler, à se répandre. Îl a vingt correspondances, écrivait mademoiselle de Lespinasse, dix amis intimes, et chacun d’eux sans fatuité pourrait se croire son premier objet. Jamais, jamais, on n’a eu tant d’existences, tant de moyens, et tant de félicité. Et Voltaire conçoit pour lui une si haute estime, que, dès 1776, il veut qu’il prenne sa place à l’Académie des paroles (l'Académie française),

1. Condorcet, il est vrai, ne dit que des choses communes, mais il a l'air de ne les dire qu'après y avoir bien pensé.