Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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‘armées; mais la gloire des généraux éclipsait des magistrats que la révolution elle-même n'avait que faiblement mis en lumière. C’étaient cinq physionomies diverses, mais peu saillantes, que l’on ne distinguait point l’une de l’autre sans quelque peine. Leurs discordes les firent mieux connaître, et apprirent à les moins respecter encore. On sut bientôt que Carnot, aidé de Letourneur, se dirigeait vers un système modéré, faisait fléchir les lois révolutionnaires pour augmenter l'empire de la constitution; que Rewbell le contrariait avec aigreur; que Laréveillère Lepaux le voyait avec jalousie; que Barras soulevait contre lui le parti extrême des républicains, en l’accusant d’avoir seul conduit l'affaire de Grenelle.

La discorde faisait les mêmes progrès dans les deux con-

seils; et ce qui lexcitait, c'était la constitution elle-même. La constitution voulait que la France supportât une révolution chaque année. En effet, le sort devait renvoyer un des directeurs annuellement ; et à la même époque, le corps-législatif devait être renouvelé d’un tiers de ses membres. ‘Troubler par une épreuve si dangereuse et si fréquente la‘majorité des deux conseils et du directoire, changer ainsi. l'esprit du gouvernement, c'était faire rentrer les gouvernés dans, la révolution même qu'ils fuyaient. Les élec tions, qui devaient avoir lieu en germinal de lan 5, étaient considérées, dans les deux partis, comme un appel du 13 vendémiaire. La trève que le parti vainqueur avait accordée au parti vaincu expirait à cette époque. La convention , qui, depuis plus d’un an, avait prolongé son règne sous des formes plus douces et sous de plus heureux auspices, la convention, forte encore des deux tiers de ses membres, se voyait menacée de retomber en minorité , d'être jugée enfin par

des successeurs inflexibles, passionnés , et qui peut-être à

divers motifs de vengeance joindraient encore celle qu’on

supposait que voudraient exercer les Bourbons.

Il importe de définir ici le parti qui, dans les deux conseils, luttait contre le directoire et ses partisans. C’étaient, pour la plupart, des hommes qui, durant la révolution, avaient porté le périlleux titre de modérés. Us avaient fatigué Ja haîne des royalistes et celle des révolutionnaires les plus ardens, ne leur répondant point par la haîne. Ils étaient étonnés plutôt que chagrinés de voir une république en France; c'était une épreuve pour leur raison que cet état de choses; ils s’y soumettaient comme à une expérience. IL y avait des nuances diverses dans leur soumission ; ceux qui étaient les plus distingués par leur caractère et leurs talens étaient les plus fidèles à la constitution républicaine de l'an 3. Mais après tout, c’étaient de faibles républi-