Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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lois , les journalistes s'en étaient emparés. Il y eut un moment où leur influence fut si directe, si évidente, que l’on ne trouva point excessivement ridicule d'entendre quelquesuns d’entre eux s'appeler magistrats de l'opinion publique. Cette magistrature n’exigeait ni gravité ni impartialité. L’épigramme et la satire même étaient regardées comme un heureux retour à la gaîté francaise ; tout était justifié par l'esprit. Souvent, dans ces journaux ou dans ces brochures, on exprima, avec une réserve qui pouvait toucher l'autorité sans la blesser, les plaintes d’un grand nombre de prêtres déportés, d'hommes injustement inscrits sur des listes d’émigrés, et d’une foule d’autres malheureux. Ces réclamations eurent assez de succès pour consoler par la suite, dans l'exil et dans la prison, ceux qui les avaient fait entendre, non sans quelque courage ; bientôt leur malheur le prouva. Mais ce qui dominait dans ces sortes d’écrits , c'était un esprit de retour vers les anciennes lois, les anciennes habitudes ; c'était une implacable indignation pour des maux ré= cens, dont on pouvait rendre le retour plus prochain par le soin indiscret qu’on prenait de les retracer à ceux qui étaient accusés d’y avoir contribué. Les républicains s’afligeaient de voir la république périr par un principe qu’elle proclamait, la liberté illimitée de la presse. Ils proposèrent de la modifier à l’égard des journaux ; ils échouèrent dans leurs tentatives. Les offenses redoublèrent , la vengeance vint ; elle fut cruelle.

La plupart des institutions qui avaient pour bnt de créer des mœurs républicaines languissaient dans une sorte d’abjection. Le peuple n’a peut-être pas en France toute la promptitude d’esprit que sa légéretéfait supposer. La vérité est que, dans toute cette éducation forcée qu'on lui fit faire en peu d’années, il n’apprit qu’une seule chose avec une facilité qui tient du prodige , c’est l’usage des armes. On lui donnait des fêtes sous ces touchantes invocations de la vieillesse et de l’agriculture ; il n’était frappé que du ridicule de leur exécution. Un nouveau calendrier où l’on avait cherché des divisions simples , des dénominations faciles, n’était ni suivi, ni compris généralement. La vaste et belle opération de l’uniformité des poids et mesures obtenait encore moins de succès ; le peuple s’irritait et se lassait d'exprimer ses besoins familiers dans une langue nouvelle. Les tribunaux étaient peu considérés ; la constitution proclamait leur indépendance, rien n’annoncait leur dignité. À la vieille anarchie de nos lois civiles la révolution avait ajouté l’anarchie des sciences. On avait beau répéter que les républiques se fondent sur les mœurs , les lois elles-mêmes conspiraient