Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

EXECUTIF. 143

auprès d'êtres bienfaisans dont chaque jour on peut causer la perte ! Mais suivons ceux qui furent les plus malheureux entre les députés fructidorisés. (Qu'on me pardonne de m'être servi de ce mot ; il devint d’une acception familière. Peu de temps après, une autre journée, qui chassa du directoire les auteurs du 18 fructidor, fit naître le mot de prairialisé. Si la révolution eût encore prolongé son cours, chacun des mois du nouveau calendrier aurait rappelé une proscription.)

Ce fut sans murmure et sans terreur que les prisonniers du Temple recurent la loi qui les condamnait à la déportation. La révolution avait habitué à craindre des vengeances plus soudaines et plus sanglantes à la suite des victoires de parti. Le sort rassemblait dans une même disgrâce des hommes fort étrangers les uns aux autres, et même entre lesquels il existait des motifs de dissentiment et d’inimitié ; leurs noms, que je vais dire, sufhront pour indiquer ces motifs. Le commandant Ramel devait avoir pour compagnons d’infortune Lavilleurnois et l’abbé Brottier , qu'il avait contribué à faire tom ber dans un piége cruel, du moins ceux-ci l'en accusaient. Bourdon de l'Oise et Rovère figuraient parmi les royalistes. Quatre députés du conseil des anciens, J. Barbé-Marbois, Troncon-Ducoudray, Lafond-Ladebat et Murinais, étaient réunis avec des députés du conseil des cinq-cents, auxquels ils pouvaient reprocher d’avoir été rebelles aux conseils de leur sagesse, et ceux-ci, parmi lesquels on voyait Pichegru, Willot, maudissaient dans les anciens la modération importune qui avait enchaîné leur audace. Un inspecteur de police nommé Dossonville allait partager Pexil du directeur Barthélemy. Celui-ci voyait à ses côtés un compagnon et plus cher et plus digne de lui : c'était un ami fidèle dans le malheur, c'était son domestique Letellier, qui, éperdu de douleur en apprenant l’arrestation de son maître, avait couru au Temple; qui s'était fait ouvrir cette prison; qui avait juré de ne plus se séparer de son bienfaiteur ; que ni les prières de Barthélemy même, ni les menaces d'une garde sévère, n'avaient pu détourner de suivre son ancien maître. On les traînait tous à Rochefort sous une escorte formidable. Le peuple les insulta dans plusieurs villes. Une route sur laquelle ils n'avaient trouvé pour gîtes que des prisons insalubres fut suivie pour eux d’une navigation beaucoup plus pénible. Après tous les dégoûts et toutes les tortures d'une captivité dans l’entrepont d’une corvette, ils abordèrent sur un rivage funeste. La plupart, déjà exténués de fatigue, et chez qui la maladie avait épuisé les forces mêmes de lespérance, saluèrént dans la Guyane leur tombeau.

Cependant on leur accorda quelque repos dans l'île de