Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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Cayenne. Il y en eut plusieurs qui reçurent des soins dans Phôpital de cette ville. Ils eurent le bonheur d'y trouver des sœurs grises que la charité avait conduites sur ces tristes plages. Mais il faut partir, il faut se rendre dans l'intérieur de la Guyane, dans des déserts où déjà a expiré une nombreuse population , qu'en 1765 le duc de Choiseul, trompé par des rapports et des agens infidèles, avait envoyée pour ranimer une colonie languissante : « Voilà des bêches et des rateaux, dit-on aux déportés, cultivez, faites cultiver ces lieux; que vos travaux leur donnent la salubrité qui leur manque encore. » Ils n’y trouvent qu’un bien petit nombre d'habitans : mais déjà un fort y est établi, et c’est de là qu’une garde nombreuse les observe. Le climat les frappe, le découragement les atteint, une fièvre lente les consume. Déjà ils ont perdu un de leurs compagnons les plus respectés : c'est Murinais, membre du conseil des anciens. De leurs mains languissantes ils lui creusent une tombe. TronçonDucoudray, qui déjà porte la mort dans son sein, homme éloquent, homme vertueux, s’avance au milieu de ses compagnons pour faire l'éloge d'un homme de bien. Il avait pris

our texte ces paroles religieuses que jamais aucun exilé n’entendit sans verser des larmes : Super flumina Babylonis , illic sedimus et flevimus, donec recordaremur Sion. Tous les malheureux que l’orateur proscrit invitait au courage montraient la plus grande constance d’ame dans leurs regrets, tandis que les soldats et les nègres témoins de cette scène lamentable éclataient en sanglots.

Bientôt Tronçon-Ducoudray expira lui-même. Ses amis s'étaient rassemblés autour de son lit de mort : il pressait chacun d'eux de ses mains mourantes, il les invitait à fuir ; mais sur-tout il les conjurait de ne jamais se venger , et les derniers accens de cette voix éloquente déploraient le malheur des discordes civiles.

Cependanthuit des déportés avaient formé le projet de fuir; c'étaient Pichegru, Willot, Aubry, Larue, Barthélemy et son fidèle Letellier, Ramel et Dossonville. Le capitaine d’un navire américain nommé Tylli arriva à Cayenne pour favoriser leur fuite. Par ses ordres, une pirogue les attendait sur le rivage. Ils purent s'échapper du fort de Synamari, à l’aide de subterfuges qu’ils avaient depuis long-temps imaginés pour tromper leurs gardes. En franchissant une épaisse forêt , ils atteignirent les bords de la mer. Une faible barque les ÿ recut. Leur navigation fut pénible; ils eurent beaucoup à souffrir, et d’un soleil brûlant, et de la faim. Accueillis avec intérêt dans la colonie hollandaise de Surinam, ils y trouvèrent tous les genres de secours. On fréta un bâtiment pour