Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

ÉXECUTIF. 145

les conduire en Angleterre. Six d’entre eux y arrivèrents deux avaient péri dans la traversée : l’un était le député Aubry, et l’autre, cet intrépide compagnon du malheur de son maître, ce bon Letellier, dont le nom sera toujours béni par ceux qui ont éprouvé le dévouement de la reconnaissance et de l'amitié, et par ceux qui, plus heureux, l’ont exercé.

Mais la mort frappait toujours sur les cabanes misérables de Synamari. Bourdon de l'Oise , Lavilleurnois , l'abbé Brottier, périrent. Rovère n’était plus lorsque sa femme, amimée d'un amour héroïque, arriva pour joindre son sort au sien ; elle ne put lui fermer les yeux. Le député GilbertDesmolières, arrêté deux mois après le 18 fructidor , expira auprès de ses collégues. Job Aimé, qui avait été transporté à la Guyane sur un nouveau bâtiment , après une assez longue épreuve des horreurs de ce séjour, s’échappa avec Perlet, propriétaire d’un journal, et un prêtre nommé Parisot. Le vaisseau qui les avait reçus fit naufrage sur les côtes de l’Ecosse ; Parisot périt dans les flots avec une partie de l'équipage. Toutes les relations peignent sous des couleurs vives et intéressantes la constance d’ame de BarbéMarbois et de Lafond-Ladebat, qui refusèrent obstinément de s'enfuir ; qui furent les fidèles dépositaires du secret de leurs compagnons , et qui supportèrent leur sort avec patience , et sur-tout avec fierté.

Hélas ! je n’ai point encore montré les plus grands fléaux de cette terre de malédiction. Les victimes étaient encore peu nombreuses ; elles y arrivent en foule. Trois bâtimens ont traversé les mers pour les y porter. Ce sont presque tous des prêtres et des vieillards. Jetés dans un canton plus pestilentiel encore que celui de Synamari, ils ne se servent de la bèche qu’on a remise à leurs faibles mains que pour creuser leur tombe . .. Les lugubres forêts de la Guyane retentissent de leurs chants ; ils prient , ils meurent.

Je quitte enfin ce tableau. L'histoire que j'écris ne doit être qu'un commentaire de ces paroles entendues à Synamari, de ces paroles prononcées par Troncon-Ducoudrayÿ mouraut , qui déploraient le malheur des discordes civiles. Destiné , pendant deux ans de prison, au sort dont je viens de retracer les horreurs, ami de plusieurs de ceux qui le craignait comme moi, je ne puis écrire des détails si pénibles sans que ma pensée cherche à accélérer le 18 brumaire. Tandis que le directoire, vainqueur dans un conflit de factions, se livrait à une vengeance dont je veux bien croire qu'il n'avait pas calculé toute l'étendue, Bonaparte, vainqueur dans les combats et maître de la paix, brisait les

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