Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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étaient indignés contre le général Schérer, comme s’il leur avait fait éprouver une défaite honteuse. Tous leurs vœux se portaient vers le général Moreau; ils prévoyaient la nécessité d’une retraite, et lui seul leur paraissait propre à la diriger.

Les murmures de l’armée , la vue de périls imminens, l’absence de toute ressource prochaine , le mécontentement des peuples italiens , tout se réunit pour porter un grand désordre dans les résolutions du général Schérer. Il désespéra de pouvoir garder lalignedu Mincio; il oublia l'armée de Naples et toutes les divisions répandues dans la péninsule. Il se hâta d’ajouter six mille hommes à la garnison déjà considérable de Mantoue. Ilapprovisionna cette place pour un an. Il augmenta la garnison de Pizzighitone. Il réduisit , par ces diverses opérations, son armée, que deux sanglantes batailles avaient déjà affaiblie, à vingt-huit mille hommes. Il se retira enfin jusque sur les bords de l’Adda , et crut pouvoir y soutenir, pendant quelque temps, les efforts de l’armée qui s’avancait contre lui. L'arrivée des Russes avait porté celle-ci à cent dix mille combattans.

Suwarow était entré le 28 germinal { 18 avril) à Vérone. ÂAux honneurs qui lui furent rendus, aux acclamations qui retentirent sur son passage , on eût dit que c'était le bruit de son nom qui avait fait gagner les deux batailles de Castel-Nuovo et de Magnano. Les deux généraux autrichiens , Kray et Mélas, auxquels on devait ces importans succès, cédèrent le commandement au général russe. Dès ce moment la ligue prit, mais, heureusement pour les destinées de la France , ne conserva pas long-temps un mouvement d'unité, de force et d’enthousiasme, qui repoussait les républicains conquérans vers leurs anciennes limites , et menacait de les y poursuivre. Les mains d'un général russe maintenaient et maniaiïent avec fermeté ce faisceau d'états confédérés que le plus habile des ministres anglais , et que le prince de Cobourg , après d’éclatantes victoires , avaient vu se rompre souvent, ou plutôt qu’ils avaient eux-mêmes rompu. Tout, en Italie , s’enflamma de confiance et de vengeance au nom de Suwarow. Un mélange de mœurs tartares et de connaissances européennes, un maintien moins grand que terrible , des yeux ardens jusqu’à la férocité , des paroles promptes , rudes, mais pleines d’une sauvage éloquence , une ame capable de tout le fanatisme que sa politique lui prescrivait d’inspireraux peuples et aux soldats , une frugalité, une austérité qui faisait honte au luxe le plus modéré de ses officiers ; enfin, mille ressources, mille qualités qui ne paraissaient d’abord s'adresser qu’à l'admiration du vulgaire , mais qui bientôt maîtrisaient celle des cours : voilà