Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LA GUZLA DE MÉRIMÉE 127

A la suite de Smarra, Nodier donne en appendice trois poèmes slaves qu’il présente comme authentiques et dont deux le sont en effet (La Femme d'Asan est un chant populaire, et La Luciole, une œuvre de lettré). Le troisième poème intitulé Le Bey Spalatin est une mystification pure et simple.

Je ne voudrais pas prendre congé de Nodier sans signaler encore de lui un morceau fort peu connu qui mérite d’être rappelé ici. Appelé à collaborer au Dictionnaire de la conversation, dont la première édition parut entre les années 1832 et 1839, Nodier se ressouvint de son séjour en Iyrie ; on lui demanda ou il proposa d'écrire un article Langue et Littérature illyrienne, et cet article a été réimprimé sans changement au tome onzième de la deuxième édition de ce répertoire, qui parut à Paris en 1856. Cet article est bien curieux, comme spécimen d’ignorance naïve et de creuse phraséologie. Les trois quarts sont consacrés à des divagations plus ou moins exactes sur les chants des Guzlars, ou rhapsodes serbes. Nodier se permet d'émettre gravement un diagnostic à propos de cette langueillyrienne qu'il ignore et de cette littérature qu'il ne soupçonne pas, et sur laquelle il aurait pu trouver quelques indications dans l’Aistoire des littératures slaves, de Schafarik, publiée à Prague en 1826. « — Je ne sais, dit-il gravement, si la langue slave aura jamais une littérature classique. Je l’en crois très digne sous tous les rapports. »

Le bon Nodier ignore absolument que cette période de littérature classique est close depuis longtemps. Elle embrasse Le xvi° et le xvn* siècles. IL déclare gravement que l’'Osmanide de Gundulié n'existe que dans la bouche des rhapsodes et dans quelques manuscrits très rares ; que le nom de ce poète est ignoré dans tous le reste de l’Europe. Or, l'Osmanide n’est pas un de ces poèmes populaires que nous récitent les rhapsodes. Elle avait été publiée en 1803 et en 1827 (J'ai cette édition de 1827 dans ma bibliothèque). Elle avait été traduite en latin dès 1826.

En 1840, un écrivain polonais qui ne manquait pas de