Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

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talent, Christian Ostrowski, crut devoir dédier à Nodier un article sur Gundulié qui parut dans la Revue du Nord. Pour donner une idée de ce poème, il en traduisit deux chants, le huitième qui est authentique et le quatorzième qui a été fabrique par le comte Sorgo ou Sorkocevié au dix-neuvième siècle pour combler une lacune des manuserits. Le sens critique manquait en ce temps-là à tous ceux qui s’occupaient chez nous des littératures slaves.

On délirait à qui mieux mieux. Quoi qu'il en soit, c’est probablement Nodier qui appela l'attention de Mérimée sur la poésie populaire des Slaves méridionaux et qui lui révéla l'existence de Fortis et des Guzlars.

Mérimée a raconté lui-même dans la préface de la seconde édition de La Guzla (1842), dans quelles circonstances l'idée de cette mystification lui était venue. Il avait conçu avec son ami Ampère le projet de faire un voyage dans l'Europe orientale; mais l'argent manquait : « L'idée nous vint d'écrire notre voyage, de le vendre avantageusement et d'employer nos bénéfices à voir si nous nous étions trompés dans nos descriptions ». Ampère, que je sache, ne prit pas la fantaisie au sérieux et n’écrivit rien. Mérimée, lui, se chargea de « recueillir » d'avance les chansons populaires de l’Illyrie. Pour se préparer, il lut le « Voyage en Dalmatie de l'abbé Fortis et une assez bonne statistique des anciennes provinces illyriennes rédigée — je crois, dit dédaigneusement le mystificateur qui a déjà oublié ses sources — par un chef de bureau au ministère des Affaires Étrangères ». Après de longues recherches M. Matié a été assez heureux pour mettre la main sur l'ouvrage auquel il est fait ici illusion. Il est intitulé : Voyage en Bosnie dans les années 1807 et 1808, par Amédée Chaumette Desfossés, ancien Consul de France en Turquie, ancien chancelier du Consulat général de Bosnie (Paris, 1822). Mérimée dans la lettre adressée au bibliophile russe Sobolevsky (18 janvier 1835) parle d’une petite brochure d’un consul français à Banialouka.

Ce consul est évidemment Chaumette Desfossés. On con-