Trois amies de Chateaubriand

110 TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND

Au commencement de l’automne 1906, de bon matin, les grilles de | Abbaye-au-Bois, rue de Sèvres, étaient ouvertes. Des voitures de déménagement recevaient lits, matelas, armoires, meubles quelconques, trimbalés sans hâte, avec indifférence, de pauvres meubles de couvent auxquels n’a pas donné d’individualité une possession personnelle. Ensuite, un peu avant huit heures, arrivèrent une à une des dames, vieilles ou jeunes, plusieurs emmitouflées comme des nonnes, dévotes du voisinage; et d’autres, élégantes; quelques hommes vinrent aussi. À huit heures, on devait célébrer, dans la chapelle de l'Abbaye, la dernière messe. Après quoi, ce lieu consacré serait remis aux démolisseurs.

Aventure politique; il paraît que le progrès des lumières exige la prompte démolition des couvents : c’est la joie des républicains et laubaine des liquidateurs. Aussi ont-ils résolument détruit cet édifice mémorable, où l’on avait prié durant plus de trois siècles et où vécut jusqu'aux approches de sa mort Mme Récamier, Juliette encore belle à qui Chateaubriand fait des lectures.

Je vis, pour la dernière fois, les fenêtres du salon, la porte, l'escalier que René monta, d’un pas fidèle et quotidien. Les autres visiteurs n'étaient admis qu'après lui et quand une heure s'était écoulée depuis sa venue, Ces visiteurs : Augustin Thierry, Salvandy, Villemain, David d'Angers, Alexandre de Humboldt, Lamartine, Delacroix, Ampère, Sainte-