Trois amies de Chateaubriand

326 TROIS AMIES DE CGHATEAUBRIAND

Hortense Allart qui survint tard mais qui ne fut probablement pas la dernière. Avant d’avoir épuisé le plaisir d’un amour, il fallait toujours que René s’en fût procuré un autre, tant il redoutait d’avoir à languir, à s’ennuyer, entre la fin d’un amour et le commencement d'un autre. Il ne supportait pas d’être sans amour; cela veut dire qu’il ne supportait pas d’être sans ferveur. Les plaisirs sont, dans la vie, un peu comme de fins cristaux dans une caisse qui voyagera et qui sera trimbalée; entre ces cristaux fins qui, entassés les uns contre les autres, se briseraient, on a mis de la paille, du foin, de la bourre. Chateaubriand avait l'horreur de cette bourre qui comble l'intervalle des plaisirs de la vie. Imprudent, il l’ôtait. Et c’est ainsi que, plus d’une fois, ses folles amours se sont heurtées les unes contre les autres.

I n’y a pas eu d’âme plus impatiente. Le souvenir qu’il conserva, devenu vieux, de sa vie sentimentale est, avec celui de la volupté, celui de l'attente. Quand Mme de Montbazon fut allée « à l'infidélité éternelle », Armand de Rancé, qui l’adorait, recourut au prestige des sciences occultes et il leur demanda de la revoir : — «il eut toutes les angoisses et toutes les palpitations de l'attente... » La marquise de Rambouillet mourut à quatre-vingt-deux ans : — « il y avait longtemps qu'elle n'existait plus, à moins de compter des jours qui ennuient... » Dans ces lignes de frénésie et de désespoir, quel mépris désolé, pour les tranquilles heures qu'on ne désire